Soif de dépaysement ? Amoureux du désert sous influence psyché ? Fatigués par les groupes qui jouent prudemment sur des terrains bien arpentés ? Prêts à déguster une chica morada péruvienne à laquelle on aurait négligemment ajouté une bonne dose de LSD ? Genesis, des Arizoniens de XIXA est pour vous. Mais ne venez pas vous plaindre ensuite d’être victimes d’hallucinations persistantes.
Pouvez-vous imaginer quelque chose comme du rock progressif psychédélico-mystico-colombien ? Difficile, non ? Et pourtant, quand on pose l’album Genesis de XIXA sur sa platine, tout s’éclaire : mais c’est bien sûr ! La musique parfaite qui manquait comme BO du Blueberry de Jan Kounen, la voilà. Mais aujourd’hui, ça pourrait bien être aussi un antidote parfait à nos horizons bouchés par le confinement et la fermeture des salles de concerts. Comme un grand bol d’air brûlant qui souffle depuis le désert de l’Arizona, nous apportant des visions psychédéliques qui nous font soupçonner l’absorption à haute dose de champignons hallucinogènes par leurs auteurs, pas moins…
Ce truc improbable, c’est le second album du sextet conduit par Gabriel Sullivan et Brian Lopez, deux musiciens de Giant Sand, et qui ont visiblement décidé de pousser sous le nom de XIXA les expérimentations un cran plus loin. On mélange ici allègrement le classic rock avec la cumbia, et on fait sonner le tout comme peu de gens l’osent de nos jours : l’idée pourrait être de jouer de la musique populaire pour touriste américain en goguette en Amérique Latine tout en sonnant comme un groupe de rock gothique péruvien, avec Edgar Allan Poe comme inspiration. Tiens, une autre comparaison qui s’impose : XIXA, c’est un peu les Midnight Oil de l’Arizona, mais des Midnight Oil qui passeraient une grande partie de leur temps enfermés dans des salles de cinéma délabrées à mater des séries Z d’horreur. Mais la force de cette musique qui a tout du bric-à-brac pas très sérieux, ce sont les mélodies irrésistibles : des trucs comme Thine is the Kingdom ou Eclipse, qui chaloupe et réjouit à la fois, font mouche à la première écoute, et on frôle l’orgasme (vaguement coupable quand même…).
https://youtu.be/zyZNJs7_BFQ
Il faut aussi préciser que Gabriel Sullivan chante avec ce genre de voix grave qui nous fait toujours craquer, assez proche de Mark Lanegan ou d’Iggy Pop… mais, malheureusement, avec de temps en temps une sorte d’exagération lyrique qui dépasse les bornes du bon goût (comme sur Genesis of Gae, curieux single qui ne représente pas vraiment le meilleur de l’album, ou sur Nights Plutonian Shore, qui, avec un peu plus de sobriété, aurait pu être un superbe cauchemar planant…) . On ne reprochera donc à personne de ne pas nous suivre sur ce terrain miné où le groupe se permet pas mal d’excès : par exemple, inviter à chanter une chorale d’enfants du Groenland, ou faire au milieu de toute cette latinité un détour complètement improbable, mais très réussi, par le Sahara, en jouant sur Eve of Agnes avec les touaregs de Imarhan, pour un melting pop bizarre mais absolument convaincant.
Mais il y a aussi ici un Velveteen qu’on pourrait facilement imaginer extrait du premier album de Django Django, autant du fait de la voix de Brian Lopez que d’un certain esprit « Tarantino sur le Dance Floor » ; un May They Call Us Home qui fait se rencontrer le vibrato des Shadows avec une latinité gouailleuse que ne renierait pas Manu Chao ! Cet objet singulier qu’est Genesis se termine superbement avec un Feast of Ascension d’abord plus retenu, porté par les deux voix de Gabriel et de Brian, et qui sait ensuite décoller en une élégie cinématographique inattendue, finalement foudroyée par une guitare électrique distordue.
Bref, on sera passés par tous les états possibles pendant les quarante et quelques minutes improbables de Genesis. Et ça, ça n’a pas de prix. Allez ! Vous reprendrez bien un peu de mon cake aux champignons magiques pendant que je rembobine la VHS du dernier film d’Ed Wood dans le magnétoscope ?
Eric Debarnot