Grand fan de la série Wizzz, avec laquelle il a découvert le label Born Bad, Fred Pallem est allé rendre une petite visite à Jean-Baptiste Guillot pour discuter de cette fameuse collection qui vient de fêter ses 20 ans avec le volume 4.
Le label Born Bad Records fête les vingt ans de la compil Frenchy Sixties WIZZZ Avec un quatrième volume jubilatoire, qui fout la banane. Et on en a bien besoin en ce moment. Interview sans langue de pute avec un des créateurs de la saga à succès et grand sachem du label, Jean-Baptiste Guillot.
FP : Déjà bon anniversaire, car La collection Wizzz à vingt ans, soit un album tous les cinq ans…
JB : Comme Laurent Voulzy! (rires) Mais lui c’est tous les 10 ans, moi tous les cinq ans !
FP : C’est grâce à l’album Wizzz n°1 que j’ai découvert le label Born Bad. Comme beaucoup de gens je suppose ?
JB : Ouais, c’est vachement populaire, j’étais étonné de voir à quel point les gens adoraient la série. Le quatrième volume, je l’ai fait un peu par opportunisme, en ayant été démarché par Barnabé Mons, un passionné de sixties français. Lui avait commencé une compil dans ce style, et puis, il s’est rendu compte que pour réaliser un album dans ce genre, sélectionner les titres n’est qu’une infime partie du boulot, parce que derrière il faut “clearer” tous les droits, donc il est venu vers moi. Dans ses choix il y avait des trucs que j’adorais et d’autres que je n’aimais pas, donc on a mis nos connaissances en commun pour aboutir à ce qui est la Wizzz n°4, qui je pense, n’est pas un disque au rabais.
FP : C’est l’occasion qui a fait le larron ?
Oui, car je ne me sentais pas avoir la capacité, ni l’envie. C’est des sonorités dont je pensais avoir fait le tour, et du coup j’ai eu peur de faire une compil de merde ! Dans le style sixties français, je pense qu’on a fait le tour. Donc préserver un truc un peu enthousiaste, frais, ça a été une vraie gageure. Mais au final je trouve Wizzz 4 très réjouissant.
plus c’est débile, branque et casse-gueule, plus je suis content…
FP : C’est en effet inspiré, inattendu…
JB : Les gens en 2020 ne connaissent toujours rien des artistes de la compil finalement, y compris certains spécialistes, alors que tout est classé, identifié.
FP : Exactement. Moi j’étais ravi de ne rien connaitre, et c’est ça qui est cool! Mais ce qui m’a frappé c’est le son des titres, les arrangements soignés, et le fait que les musiciens jouent hyper bien. Du coup, je me suis dit que JB Guillot n’est pas uniquement branché par les groupes de garage qui hurlent au fond de leur cave…
JB : J’ai une grosse culture B.O. donc j’aime les arrangements, la sophistication, mais tu sais aussi que j’aime les trucs primitifs, plus c’est débile, branque et casse-gueule, plus je suis content. Mais là dans les années soixante, il y avait moins une culture des labels indépendants comme aujourd’hui. Les labels avaient des studios avec des musiciens salariés, des gros cadors. On a essayé de les mettre dans les notes de pochette, mais souvent les artistes restaient quelques heures en studio, et cinquante ans après, ils ne se souviennent plus de grand chose. Les grands spécialistes peut-être reconnaîtront le toucher de basse de untel, ou le Farfisa de machin. De toutes façons, tu le sais mieux que moi, c’est toujours les quatre mêmes mecs qui enregistraient tout…
On essaye de bien raconter l’histoire de tous ces anonymes dans les “liner notes”. Ces gens pourraient être ton père, ta sœur, ton fleuriste…
FP : 5 guitaristes, 5 batteurs, 5 bassistes, 5 claviers qui ont enregistré 15 ans de musique en France. Mais revenons à Wizzz, je crois que les gens ne se rendent pas compte du tour de force pour pouvoir concevoir une telle compil. Peux tu nous expliquer le processus ?
JB : Déjà, il faut avoir les disques. Il y a un vrai travail d’exhumation qui prend des années. Tout ça c’est le fruit de trente-cinq de travail ! Je fais les brocantes depuis que j’ai quinze ans. Après mon coeur de métier c’est de sortir des groupes actuels, c’est de ça que je tire le plus de satisfaction, mais la réédition est dans mon ADN, c’est le chineur qui parle là. Aujourd’hui on dit “digger”. Quand au fil de ta vie, tu découvres des disques que tu as l’impression d’être le seul à connaitre, forcément, un jour, tu as envie de partager avec des gens, faire découvrir ces artistes maudits qui ont pas eu leur heure. Dans ce métier on le sait, il y a beaucoup d’appelés et peu d’élus, et c’est toujours le cas de nos jours. En 2021, il y a des gens qui font des musiques formidables que l’on découvrira dans trente, quarante ans.
FP : Et donc tu chines ?
JB : Dès qu’il y a un disque français chelou qui traine, je le prends et je le mets dans une boite à chaussures, et c’est comme ça que les projets murissent peu à peu. J’ai des centaines de quarante-cinq tours qui me semblent cools, avec une petite fuzz par-ci, un petit arrangement de cordes sympa par-là, après j’écoute tout, et je filtre. Après la partie difficile, assez ingrate, et qui peut prendre plusieurs années c’est la “clearance “ des droits. Au final c’est gratifiant car c’est là que tu retrouves les gens. Tu tapes à la porte d’un gars qui a fait un single en 1966, et qui n’a jamais rien fait d’autre, puis, qui a eu une vie derrière évidemment, et qui te raconte son parcours. On essaye de bien raconter l’histoire de tous ces anonymes dans les “liner notes”. Ces gens pourraient être ton père, ta sœur, ton fleuriste, ton garagiste etc. Et c’est ça aussi qui plait dans Wizzz : la revanche de tous ces inconnus. Après on met une petite touche de gauloiserie, et du “c’est génial” et “nul” à la fois, on est dans de l’anecdotique, dans la deuxième division, on le sait bien. On est pas en train de parler de Melody Nelson là. Wizzz est jubilatoire, rigolo a écouter, et on se fait tellement chier, que ça fait du bien.
FP : As tu déjà eu accès aux bandes de ces enregistrements ?
JB : Très rarement, par exemple les Vassiliu, Estardy je les ai eues. Je préférerais en avoir plus souvent. Sinon, la plupart du temps, les bandes sont perdues ou mal archivées. Pour le Wizzz 4 par exemple, je n’ai eu aucune bande, donc c’est de la numérisation de 45 tours. Le truc c’est d’avoir trois ou quatre copies de chaque disque et de choisir celui qui est en meilleur état, ensuite je les confie à un restaurateur qui identifie la meilleure copie. J’ai aussi une machine professionnelle pour nettoyer les vinyles. Certains enregistrements sont très rares donc très chers. En gros, faut être le premier sur le coup, ou se les faire prêter. Sur Wizzz 4 il y des titres que je n’ai pas.
FP : Quand Wizzz est sorti, il y avait le logo Born Bad au dos avec l’adresse. Ça m’a intrigué et je me suis rendu au magasin rue Keller. Je m’attendais à découvrir l’antre de la pop sixties, mais c’était plutôt axé punk, garage. Donc finalement, en partant de là, tu ouvres sur de la pop, de la musique africaine, arabe, des B.O… Et j’ai trouvé cette ouverture hyper stimulante. Tu as fait ça dans quel but ? Créer un patrimoine ? Eduquer les fans garage de la première heure ?
JB : Oui un peu. Mon sérail c’est le rock’n’roll pur et dur. Après tu évolues, tu n’es pas le même à 14 ans et 50 ans. Je suis curieux, je m’ennuie, j’ai besoin de sortir de ma zone de confort. Wizzz, j’aurais pu surfer dessus et en être au volume n°20, mais ça n’aurait pas eu le même impact. Le rock’n’roll c’est ça pour moi, sortir un gars comme USE et derrière un groupe de gamines du fond du Bénin, avoir la capacité de faire Wizzz et derrière FRUSTRATION, c’est se mettre en danger, sinon ça reste un folklore. À mes détracteurs je dis que mon label est foncièrement Rock’n’roll. Je ne suis pas gardien du temple ni gardien de musée, même si j’aime le mobilier fifties et que je roule en vieille Triumph, j’aime Brando et Elvis. Mais ce n’est pas ça l’ADN du Rock’n’roll. Faut pas trop se prendre au sérieux, tout ça n’est que de la musique, c’est un jeu. Je suis là pour divertir.
FP : Tu as des goûts très éclectiques…
JB : J’adore Coltrane et Terry Riley, mais aussi les Chaussettes Noires qui sont pour moi comme un bain de jouvence. Pour moi, il n’y a pas de hiérarchie. Mon label est didactique et populaire. Le snobisme en musique il n’y a rien de plus pathétique. L’important est d’avoir le courage d’écouter la musique que l’on aime, et très peu de gens arrivent à assumer leurs goûts.
FP : Rendez-vous dans cinq ans alors ?
JB : Ce n’est pas une fin en soi, même si ça coûte moins cher de faire des rééditions que des groupes nouveaux ou le boulot est épuisant. Wizzz n°5… si j’ai suffisamment de morceaux biens, oui, je ne l’exclus pas.
Interview réalisée en mars 2021 par Fred Pallem