Vies et Morts de John Lennon est un texte à la fois choral – avec ses 40 personnages – et intime, sur l’impact qu’a pu avoir sur nous l’assassinat de la plus fascinante des stars du Rock : un livre qui parle de manière juste du travail de deuil et de ce qui nous reste.
On se rappelle tous où on était, et ce qu’on faisait, lorsque le premier avion s’est écrasé sur le World Trade Centre le 11 septembre, bien sûr. Personnellement, je me souviens aussi parfaitement du moment où j’ai appris à la radio la nouvelle de la mort de John Lennon, assassiné : j’étais dans ma petite 4L beige entre El Harrach et Alger, et il faisait beau ce matin-là, jusqu’à ce que le monde s’arrête, littéralement. J’ai repensé au poster de John, baigné de lumière en noir devant son piano blanc d’Imagine, qui avait été des années durant le seul poster dans la petite chambre d’adolescent (après, un dessin que j’avais réalisé moi-même de Lou Reed l’avait rejoint…), et j’ai réalisé que le petit monde lumineux et tranquille de mon enfance, bercée de musique, s’effondrait. J’étais devenu un adulte, par la « grâce » maudite de la folie de Mark Chapman. (Bien des années plus tard, je serais à nouveau frappé par la foudre à l’annonce de la disparition de Bowie, mais c’est une autre histoire, tout aussi triste…).
C’est peut-être après avoir entendu des centaines d’histoires banales comme la mienne que Hugues Blineau, qui nous a déjà livré un Le Jour où les Beatles se sont séparés cherchant à comprendre l’inscription du mythe des Beatles dans l’expérience intime individuelle, a écrit les courtes 80 pages de Vies et Morts de John Lennon, un titre qu’il explique (dans la postface) avoir eu en lui depuis des années. Car Blineau nous offre ici les pensées de quarante personnes touchées plus ou plus directement, plus ou moins profondément, plus ou moins intimement, par l’assassinat et donc la disparition de John : vingt personnages réels, auxquels Blineau prend le risque de prêter des sentiments au cours des instants, des jours, des mois, puis des années qui suivent les coups de feu du 8 décembre 1980 à 23 heures, heure de la Côte Est des US ; plus vingt personnages « imaginaires » nous représentant vous et moi, qui avons bien sûr continué à vivre, mais chez qui quelque chose a pu changer, pour le meilleur ou pour le pire.
Il y a donc une certaine audace dans ce texte à présumer de l’impact dévastateur qu’a causé la mort de leur père sur Sean ou Julian, à décrire l’horreur de l’absence définitive de l’être aimé pour Yoko, même si l’on sent – et heureusement – une vraie justesse dans les lignes les concernant. Blineau passe assez vite sur Paul (parce que l’ambiguïté des relations entre John et Paul ne facilite pas l’imagination ?), et un peu moins sur Ringo et George. C’est finalement aux collaborateurs et artistes que revient la responsabilité de porter la parole la plus marquante (jolie page sur Annie Leibovitz et l’ultime séance photo de John et Yoko, ce matin-là), tandis que, logiquement sans doute, c’est le parcours des anonymes – notre parcours – qui nous touche le plus profondément.
On parle de parcours, parce que, bien entendu, et c’est heureux, le temps qui passe, et de plus en plus vite, efface et guérit. Le travail de deuil se fait, et la question – évidente – à se poser est ce qui subsiste, ce qui résiste, ce qui est resté en nous. Et, en attendant que nous-mêmes soyons emportés par l’oubli, il y a, comme l’écrit Hugues Blineau, la musique, qui « a ceci de miraculeux qu’elle garde parfois intact, malgré les années, le sentiment des premières fois ».
Et des dernières fois.
Eric Debarnot