Vous ne connaissez sans doute pas le travail de From Your Balcony, le projet du lillois Nicolas Swierczek. Ce Beautiful Alone, premier véritable album d’un groupe né il y a peu plus de dix ans s’avérera une belle séance de rattrapage. La Pop de From Your Balcony viendra réveiller les spectres de Sébastien Schuller ou Cascadeur avec ce supplément d’âme qui font les disques amis et essentiels.
Il est parfois difficile de se rappeler quand et comment s’est amorcée une rencontre avec un disque et son créateur, avec un musicien. Parfois, il est difficile de retracer la généalogie d’une rencontre avec ces objets sonores qui finissent par ressembler à des amis, des doubles de nous-mêmes.
Là, l’espace d’un instant, faites remonter à la surface ce premier instant où vous avez entendu une chanson que vous pourriez réclamer comme étant vôtre, que vous pourriez considérer comme faisant partie de votre identité, de votre être, de votre chair. Rappelez-vous tout de suite cette impression inaugurale à laquelle vous revenez sans cesse à chaque écoute, cette intensité qui jamais ne se renie. Nous avons en chacun de nous ces petits frissons qui forgent nos histoires, comme des droites parallèles qui ne se rencontrent jamais. Des petits riens qui ne sont jamais des évènements, à peine une onde dans le silence.
Moi, ces chansons-là, cela pourrait être Atmosphere, The Eternal, Les Ailes De Verre et une poignée d’autres. A la généalogie du frisson ressenti face à la musique de Nicolas Swierczek alias From Your Balcony, il y a ce choc ressenti à l’écoute de An Old Fashioned Girl, pierre angulaire de The Leaver And The Left, mini-album sorti en 2009 dans une certaine indifférence. La faute sans doute à une mauvaise distribution, la faute sans doute aussi à une sincérité dans l’amertume, dans la nervure doucereuse de cette musique à la fois singulière et familière.
Evacuons tout de suite les influences que l’on entend ici et la dans les chansons Pop de From Your Balcony. On pourrait bien sûr le rapprocher du trop rare Sébastien Schuller pour ce même mélange de l’acoustique et de l’électronique, de Cascadeur pour cet usage d’un piano que l’on imagine éduqué au conservatoire, ce falsetto qui le rapproche encore un peu plus d’Alexandre Longo. Une fois cela dit, cela nous avance-t-il plus dans notre perception de la musique du lillois ? Pas sûr.
Car l’univers de From Your Balcony est réfractaire à l’étiquetage facile, au référencement rassurant. Il y a chez Nicolas Swierczek un sens évident de l’élégance dans la mélodie, d’un jeu avec le trompe-l’oeil et la chausse-trappe, le son vient irriter notre rétine, condense une buée dans nos yeux. From Your Balcony ne feint jamais ni n’évite jamais les émotions, il joue sur le fil du gouffre, sur le bord du mélodrame. Un pas de trop et tout s’écroule, un pas de travers et le pathos nous rejette. Alternant avec une belle intelligence entre des plages contemplatives et des mouvements spontanés plus Pop, Nicolas Swierczek n’oublie jamais de laisser ici et là des trésors de profondeur, des chemins de traverse, des royaumes au bord de la mer où l’hiver devient l’été, où l’absence se fait sentir.
Tout ici raconte le rapport au vide, le froissement de ce tissu de solitude sur notre peau, cette étrangeté qui nous comble de l’intérieur, cet insaisissable individu qui nous regarde de dedans, cet inconnu qui nous ressemble. C’est peut-être pour cela que Nicolas Swierczek accidente sa musique de ruptures et de versatilité.
Beautiful Alone (Prelude) en ouverture installe la scène et pose la dramaturgie, nous entrons dans le territoire de l’arrache-coeur, dans celui de l’intime et de l’infiniment petit et du strictement essentiel. Porté par un piano, cette pièce inaugurale sert de transition avec les disques précédents de From Your Balcony. Maria, quant à elle, ravive la dimension Pop de Nicolas Swierczek avec une ligne mélodique délicieusement eighties avec quelques réminiscences d’A-Ha (Si, si !) qui mériterait sans doute que l’on réévalue la discographie. On entend parfois dans le pont orchestral un peu de ce qui fait notre passion pour les disques d’Arman Meliès.
An Old Polish Heart qui commence par une rythmique discrète comme un battement de coeur sourd, la voix si singulière de Nicolas Swierczek presqu’androgyne est une des pièces maîtresses de cette métamorphose du From Your Balcony version 2021, on y entend pour la première fois cette affirmation de l’électronique et de la mélodie en ostinato, de cette urgence qui jamais ne s’affirme totalement, qui se fait plus menaçante, ces vestiges d’un chaos qui brûlent encore, cette douleur qui raconte encore un peu la vie, cette vie qui renie l’inertie.
Until It Hurts raconte l’enfermement, l’envie de se sortir de soi avec ce piano maladif en accords mineurs quand The Party reprend le chemin d’une Pop Eighties, les paroles se font plus familières, plus dans cette vision d’un quotidien où comment dire beaucoup à partir de peu. Above My Head nous irradie par sa beauté sépulcrale, son émotion à l’os, sa confession sans concession. Les chansons qui nous brisent en mille morceaux sont toujours des chansons qui ne disent rien car elles disent l’essentiel qui n’a pas besoin des mots mais de la seule émotion. Pensez à Dust de Craig Armstrong dans It’s Nearly Tomorrow (2004), pensez aux Désespérés de Brel. On y entend encore une fois le caractère versatile du compositeur qui se joue des ruptures et des changements de climats. Etoffant petit à petit son orchestration, partant d’un jeu de piano discret vers une affirmation harmonique, From Your Balcony nous émeut encore une fois.
The Fire Within poursuit cette même veine avec cette mélancolie nerveuse, ce sens de l’arrangement et de l’idée discrète mais indispensable à chaque instant. Et puis il y a ces mots empruntés à la voix de Louis Malle, cette chose dégoûtante qui nous transforme et nous recycle. Healing (Interlude) se pose là en respiration nécessaire dans ce disque qui ne nous épargne pas. Et de retrouver Beautiful Alone qui se déploie dans une autre perspective. Finalement la musique de Nicolas Swierczek n’est qu’une question de mouvements perceptibles presque physiquement. C’est aussi une dramaturgie qui s’installe de scène en scène.
Et si finalement tout le disque devait conduire à How To Avoid People, odyssée de poche, montagne russe d’émotions, cette apologie des gens qui s’excusent tout le temps d’être là, de vivre et d’exister. Ces êtres qui vivent un confinement volontaire et désiré, ces spectateurs des autres, ces acteurs passifs, ces indifférents à eux-mêmes comme aux autres, ces solitudes uniques, ces gestes jamais finis. En bonus tracks Your Bravest Fight et Home viennent conclure avec brio un disque au plus proche de la peau et de la perfection.
From Your Balcony dessine des musiques où se tissent des liens, une généalogie fugitive mais indispensable car constitutive d’un frisson vital. Vous ne le savez sans doute pas encore mais avec Beautiful Alone, vous tenez là un nouvel ami, un être cher, cher comme un frisson originel.
Greg Bod