La passation de pouvoir à une nouvelle équipe ne suffit pas à « réveiller » American Gods. On peut néanmoins continuer à se délecter de ces scènes bien délirantes qu’il nous offre régulièrement, ou bien encore d’une interprétation plutôt au-dessus de la moyenne.
On ne peut pas dire, après le chaos dans lequel a vu le jour la seconde saison de American Gods, et le résultat décevant de toutes les tentatives d’une série qui semble toujours avancer à tâtons dans l’obscurité la plus totale, que l’on attendait encore grand-chose d’une troisième saison. Et on avait sans doute raison, puisque, décidément, rien n’y fait : les scénaristes n’ont pas encore trouvé le moyen de faire progresser l’intrigue, qui a adopté pour de bon (?) le principe de deux pas en avant, un pas en arrière, quand ce n’est pas le contraire… avant de nous offrir une subite accélération dans les derniers épisodes qui s’avère plus frustrante qu’autre chose, avec, et c’est tellement prévisible, une sorte de cliffhanger final pour nous appâter et nous convaincre de suivre une quatrième saison très probable.
La fameuse guerre (qui, comme celle de Troie, n’aura pas lieu !) entre les « anciens dieux » qui ont nourri les mythologies humaines à travers la planète et les siècles, et les « nouveaux dieux » (en gros l’information et la technologie) qui régissent désormais la vie de l’humanité tout entière, est toujours à l’horizon… Chaque épisode de cette nouvelle saison est donc consacré à la valse-hésitation continuelle des personnages (enfin, ceux qui restent après la grande purge effectuée par la production…) qui semblent éternellement faire et défaire leurs relations, et errer sans but particulier sur un territoire américain qui s’apparente à un désert glacé et sans âme, parsemé de motels déprimants qui sont des lieux-clé de l’action.
Ce qui change cette fois, c’est que, globalement, American Gods trahit à nouveau, comme à ses débuts, un véritable soin apporté à la mise en scène, au rythme, à l’image, bref à beaucoup d’aspects formels qui l’autorisent à être positionnée par Amazon comme une « série de prestige », aux ambitions élevées. Ce qui signifie, dans la grande majorité des épisodes, on pourra se laisser éblouir par des images folles, des scènes spectaculaires qui permettent finalement de passer un bon moment devant une série dont on n’espère plus désormais qu’elle acquière une quelconque substance.
Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas occasionnellement au moins, quelques moments intéressants : le conflit entre Mr. Wednesday et Tyr autour de leur amour de jeunesse, la déesse Demeter qui ne veut pas quitter son EHPAD, s’avère amusant ; le retour parmi les vivants après un passage express au purgatoire de Laura Moon, qui la voit repartir en guerre contre Mr. Wednesday est un fil conducteur intéressant ; l’installation de Shadow Moon, dont la personnalité semble avoir considérablement changé par rapport aux saisons précédentes, dans le village perdu de Lakeside, et ses interactions avec la population de la ville, alors que des disparitions d’enfants se succèdent, est même la partie la plus intéressante de la saison, jusqu’à une résolution malheureusement un peu facile…
On a par contre du mal à se passionner pour le sort d’un Technical Boy tourmenté par des problèmes de parasites, ce qui confirme que, si les « anciens dieux », avec leurs défauts si humains, peuvent engendrer une certaine empathie, le concept de ces « nouveaux dieux » technologiques ne fonctionne que sur le papier, et le téléspectateur le plus positif ne peut guère que s’en moquer complètement. Enfin, jusqu’à la redistribution des rôles de l’épisode final qui s’avère intrigante…
Nouveau showrunner ou pas, American Gods, en dépit de sa tentative finale de relever de nouveaux défis scénaristiques, continue donc à dépendre avant tout de ses acteurs qui arrivent encore à nous enchanter ! Dans son « nouveau personnage », plus tranquille, plus terre-à-terre, plus… humain (enfin, jusqu’au dernier épisode qui remet tout ça en question), et désormais chevelu (!), Ricky Whittle nous convainc enfin. Quant à Ian McShane, il n’a cette fois rien de bien nouveau à nous offrir, ce qui fait qu’on devra se consoler avec nombre de seconds rôles savoureux, comme par exemple la tenancière trans du Peacock Motel, dans l’épisode le plus fou – et sans doute le plus simplement merveilleux – de la saison (The Rapture of Burning), avec son orgie LGBT, qui évoque le travail des Wachowski, et avec l’acceptation complète de son homosexualité par le musulman pratiquant Salim. N’oublions pas l’excellent Crispin Glover qui nous offre cette fois un Mr. World d’anthologie, à la fois terrifiant et répugnant, et qui place la meilleure réplique de toute la série : « Les gens disent que nous sommes dans l’ère de la technologie… Ils ont tort : ceci est l’ère de la manipulation..! »
Pas mieux !
Eric Debarnot