D’une utilité fort discutable par rapport au merveilleux Live At Massey Hall, Young Shakespeare capture également la grâce de Neil Young, jeune adulte passionné en 1971, qui n’a sans doute jamais mieux chanté – en solo acoustique – que cette année-là.
Ferme les yeux. Souviens-toi… On est le 22 janvier 1971, dans une petite ville du Connecticut qui s’appelle Stratford, et qui a donc décidé de baptiser sa salle de spectacle de « Shakespeare Theatre », comme si l’Avon coulait là-bas aussi (défense de ricaner !). Ce soir, tu es allé voir et écouter Neil Young, jeune artiste canadien dont tout le monde parle, à cause de sa participation à CSN&Y bien entendu, mais aussi de ses deux albums Everybody Knows This Is Nowhere et surtout After The Goldrush. Il joue en solo, et tu attends avec impatience de voir s’il va vraiment chanter aussi bien que sur le disque des trucs comme Helpless ou Don’t Let It Bring You Down. Deux heures plus tard, tu ressors de la salle comme si tu marchais sur un petit nuage, et tu décides de pondre un article pour le journal de l’université, où tu écris régulièrement. Rentré chez toi, les mots coulent tous seul, tu es encore sous le charme : « Neil Young est dans un tel état de grâce créative qu’il semble pouvoir marcher sur l’eau. Ce que l’on a entendu ce soir, au Shakespeare Theatre, c’est purement et simplement l’âme nue de l’un des plus grands compositeurs actuels, à travers des chansons simples mais parfaites, jouées avec une sorte d’innocence – absolument imparable : cette musique crée un sentiment de permanence, voire d’éternité suspendue, entre jeunesse insouciante et vieillesse sereine, que peu d’artistes, dans quelque domaine que ce soit, ont jamais pu atteindre. Oui, c’est à ce point… »
Maintenant, rouvre les yeux. On est en mars 2021, et on reste tous enfermés à la maison la plupart du temps à cause d’un foutu virus, surtout quand on a, comme toi, les 70 ans en ligne de mire. Neil Young, lui, en a 75, et il y a longtemps qu’il ne chante plus de cette voix étrange, un peu féminine et quasi-divine qui t’avait enchanté durant ton adolescence… mais tu achètes encore fidèlement chacun de ses albums. Cette année, d’ailleurs, tu trouves qu’il pousse un peu, le père Neil : on n’est que fin mars, et on en est déjà au douzième album publié depuis le début de l’année, en comptant le coffret Archives Vol. II… Mais celui-là, tu ne peux pas le manquer, forcément. Ce qui te surprend, forcément, ce sont ces versions pas encore bien « cuites » de Old Man, de The Needle and the Damage Done (avec en intro ce speech de Neil qui raconte les dégâts que l’héroïne commence à faire dans le milieu des musiciens), et surtout ce medley bizarre avec A Man Needs a Maid (piano solo, Neil rigole en expliquant qu’il n’arrive pas trop à la jouer, car elle compliquée, cette chanson… et pourtant c’est tellement plus beau qu’avec ce p… de grand orchestre !) et Heart of Gold, qui n’a pas encore son futur style de tube country : personne n’applaudit quand elles commencent, ces chansons, bien sûr : Harvest n’était pas sorti, personne de ne se rendait compte de combien tout ça deviendrait ENORME…
Par contre, tout le monde applaudit sur les intros de Ohio, de Cowgirl in the Sand, de Helpless surtout. Et Don’t Let It Bring You Down, qui a l’air d’avoir été écrite pour aujourd’hui, pour 2021 et la chienne de vie qu’on a. Tiens, Down by the River en acoustique, tu l’avais oubliée, celle-là. Mais par contre, tu te souvenais bien que l’interminable version de Sugar Mountain, plus de huit minutes, avec les plaisanteries de Neil Young sur les étudiants, sur Shakespeare, et sur lui-même qui, à 20 ans, avait vraiment loupé certains des 126 couplets (rires….) de la chanson. Bon, c’est vrai que Sugar Mountain, c’est une chanson pas trop fine, et en plus, un peu usée, à force, mais comme beaucoup des autres sur cet album. Pourtant, c’est quand même marrant combien ces chansons sonnent fraîches, jeunes, pleines de passion même, quand on les écoute jouées à nouveau par un jeune artiste de 25 ans. Du coup, tes doutes quant à la nécessité de cet album, par rapport au Live At Massey Hall, enregistré seulement 3 jours plus tôt, qui reste l’album live acoustique parfait de Neil (avec une setlist plus longue, avec une émotion plus tangible, et aussi… sans Sugar Mountain !), s’envolent…
Et tu te dis que tu vas peut-être bien acheter le DVD, aussi, histoire de vérifier si on ne te voit pas là, au premier rang, en train de passer LA SOIREE de ta vie…
Eric Debarnot
Young Shakespeare (1971)
Album live de Neil Young
Label : Reprise Records
Date de parution : 26 mars 2021
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