D’Álex Pina, le responsable de la Casa de Papel, il est imprudent d’attendre autre chose qu’un spectacle facile et réjouissant : ce qui est bien le cas de ce Sky Rojo, qui aborde néanmoins la question, dramatique en Espagne, du proxénétisme.
L’Espagne détient le triste record d’être le premier pays d’Europe consommateur de prostitution, avec 40% des Espagnols y ayant recours. Même au niveau mondial, l’Espagne brille en montant à la troisième place sur le podium ! Et, dans un pays où les séquelles du franquisme et les marques d’un catholicisme traditionnel virulent perdurent, cette horreur – largement bâtie désormais sur un système mafieux de traite de jeunes femmes sud-américaines – fait relativement peu la une des journaux, et est rarement un sujet de scénario au cinéma. On ne peut donc que louer Álex Pina (l’un des noms derrière la Casa de Papel, ce qui est une référence, même si on n’est pas certains de quoi…) et Esther Martínez Lobato (elle aussi d’ailleurs impliquée dans le projet White Lines qui nous avait bien plu, l’année dernière) de mettre les pieds dans le plat avec leur nouvelle série, Sky Rojo.
Sky Rojo nous raconte en huit épisodes effrénés de moins de 30 minutes comment trois femmes, retenues dans un bordel sur l’île de Tenerife dans les Canaries, tentent d’échapper à l’emprise de leurs proxénètes, prêts à leur infliger tous les sévices possibles pour les punir de leur audace. Avec un style louchant vers les tarantinesqueries de bas étage (il suffit de regarder l’affiche de la série, très série B, voire Z, pour comprendre, avant même de regarder le premier épisode), Sky Rojo prend vite les allures d’un road movie quasi immobile, puisque la taille de l’île n’autorise guère l’ivresse de la disparition dans de grands espaces à l’américaine : cette mécanique de ressassement, entre la valse-hésitation de nos trois héroïnes et les allers-retours entre la case départ (le bordel) et …. fait d’ailleurs beaucoup de l’originalité de la série, en accentuant le sentiment d’enfermement irrémédiable des victimes.
Le premier épisode est spectaculaire, violent, gore et esthétiquement très soigné, et laisse craindre que Pina se laisse aller encore une fois à une complaisance stylistique certes accrocheuse, mais quand même déplacée par rapport à l’abomination du proxénétisme, indiscutable version contemporaine du bon vieil esclavage. Les épisodes suivants rattrapent partiellement cette première impression, en s’attachant avec une vraie empathie à la personnalité et au trajet des trois fugitives : l’une Wendy, est argentine, et est entrée de son plein gré dans cet enfer, en pensant s’offrir une nouvelle vie, plus libre, en Europe ; la seconde, Gina, cubaine, a été vendue par sa mère aux maffieux, tandis que le passé mystérieux de Coral, personnage principal de la série, manipulatrice accro aux médicaments de toutes sortes, ne sera révélé que peu à peu… Face à ces trois femmes fortes, très solidement incarnées par Verónica Sánchez, Yany Prado et Lali Espósito, on a le plaisir de retrouver le grand Miguel Ángel Silvestre, pas vu chez nous depuis son rôle mémorable dans Sense8, et surtout une brochette de « sales gueules » incarnant tous les degrés de l’ignominie masculine, de la cruauté des proxénètes à la lâcheté pitoyable des clients du bordel.
En dérapant régulièrement dans le burlesque, en multipliant les plans à l’esthétique clinquante, Sky Rojo trahit bien entendu l’obsession de Pina de chercher à tout prix le divertissement du téléspectateur, sans se préoccuper d’une quelconque « morale » de l’image cinématographique, ce qui pourra rendre Sky Rojo antipathique à nombre de cinéphiles, qui auraient préféré un traitement moins clinquant, moins complaisant en termes de violence, moins exhibitionniste aussi, du sujet. Reste qu’en matière de séries TV populaire, on est devant une réussite acceptable… Même si le truc final de nous planter en plein milieu d’un suspense insoutenable… en attendant la seconde saison, est quand même bien « dégueulasse » !
Eric Debarnot