Russell T. Davies, le papa de Queer as folk et de Years and years, revient avec une nouvelle mini-série retraçant, en cinq épisodes, le début des années sida au Royaume-Uni. Tragique et euphorisant à la fois.
Ça commence très gaiement, évidemment. On rit, on s’amuse, on danse tous les soirs, on baise tous les soirs, on découvre la vie et on goûte à l’indépendance. On est en 1981, on est à Londres. Orchestral Manoeuvres in the Dark chante Enola gay, on se déhanche au Heaven et Thatcher est déjà une vraie peau de vache. Un petit air de Pride flotte dans l’air. On commence aussi à parler de cette forme de «grippe», une espèce de «cancer» qui ne toucherait que les gays, et surtout aux États-Unis, et surtout à New York, à Los Angeles et à San Francisco. On parle d’un hypothétique «patient zéro», de punition divine carrément. On dit que c’est propagé par le poppers, ou créé en laboratoire pour se débarrasser des homosexuels.
Personne n’y fait vraiment attention, et personne n’y croit vraiment. Et puis il y a tellement de on-dit, tellement de théories autour, et puis ça ferait la une des journaux, non ? La joie et l’insouciance des premiers instants vont vite se transformer en une longue oraison funèbre. La fête est finie. La réalité vient se rappeler à toutes et à tous : l’épidémie du sida est bien là, qui va tout emporter sur son passage. À peine avons-nous eu le temps de nous lier d’affection pour Jill, Ritchie, Colin, Ash, Roscoe et leurs amis, tous plus attachants les uns que les autres, qu’il faut ensuite les regarder tomber comme des mouches. Le rire s’étrangle.
La nouvelle mini-série de Russell T. Davies, papa de Queer as folk et de Years and years, retrace en cinq épisodes le début des années sida au Royaume-Uni entre stigmatisation sociale, voire sanitaire, et silence politique, inconscience et ignorance face à une «maladie» dont on savait encore si peu, sinon qu’elle tuait (voir la scène où Ritchie, dans l’épisode 2, énumère les rumeurs et les raisons qui font qu’il ne croit pas à cette histoire de virus mortel). It’s a sin est un projet que Davies mûrissait depuis longtemps déjà, lui qui avait 18 ans à cette époque, expliquant avoir «vécu ces moments-là, et il m’a fallu des décennies pour en arriver à cette série. Alors que le temps passe, il existe un vrai danger que cette histoire tombe dans l’oubli. C’est donc un honneur d’écrire pour ceux que nous avons perdus, et pour ceux qui ont survécu».
Énorme succès outre-Manche qui, dans son sillage, a entraîné une hausse des tests de dépistage du VIH, It’s a sin carbure à l’énergie et à l’humour (en partie grâce à une bande d’acteurs et d’actrices absolument euphorisants) malgré la mort partout, qui charrie sans rechigner et laisse souvent abasourdi (les épisodes 3 et 5, véritables crève-cœurs). C’est là l’un des nombreux mérites de la série : ne jamais sombrer dans le pathos en dépit d’un sujet grave (cette jeunesse laminée, cette société qui entretient la honte d’être gay, ces malades que l’on rejette, ces familles qui enterrent leur fils…), y préférant toujours une humanité qui déborde. D’espoirs et de rigolades, de sexe et de danse. «Je me suis vraiment éclaté […] Les gens vont oublier ça. À quel point on s’est éclaté», résumera Ritchie avec la certitude, triomphante, d’avoir vécu comme il le voulait.
Michaël Pigé