Au second tome de la nouvelle série Donjon Antipodes, l’ambition du projet de Sfar et Trondheim se dévoile : ni plus ni moins que de créer un grand récit des origines, reliant le Donjon aux récits fondateurs de l’Heroic Fantasy. Et en plus, c’est drôle !
L’inquisiteur mégalomane répond à deux questions qui se posaient à la lecture du premier tome de la nouvelle série du Donjon, l’excellent l’Armée du Crâne : il confirme d’abord que Panaccione en sera bel et bien le dessinateur attitré, ce qui réjouira les uns (car il a du style, indéniablement…) et attristera les autres (… mais manque régulièrement de clarté, de précision) ; plus important sans doute, il dévoile clairement que le nouveau projet de Sfar et Trondheim est bel et bien relié au corpus principal du « Donjon« , puisqu’il s’agit ici de montrer comment leur « heroic fantasy à eux », leur univers, a émergé de celui de Tolkien, en constituant une évolution, au sens darwinien du terme, mais accélérée ! Un projet que l’on pourrait qualifier de mégalomane (comme leur inquisiteur !), voire arrogant, s’il n’était bien sûr irrigué de ce bel humour à la fois trivial et absurde qu’on aime tant…
Grâce à la fameuse poudre inventée par un chercheur elfe et que nous avons découverte au premier tome de Donjon Antipodes, voici donc l’évolution qui avance à marche forcée sur Terra Amata, et les « bêtes » qui se mettent à marcher sur deux pattes, à parler, voire même à philosopher ! Il est facile d’imaginer en refermant ce second tome que cette nouvelle « humanité » va pouvoir balayer de la surface de la planète la racaille qui la peuple, et en particulier les atroces elfes nazis, bigots, prompts à torturer, et à « s’adonner au privilège des civilisations avancées », tout détruire !
Les adeptes puristes du Hobbit et du Seigneur des Anneaux rechigneront peut-être à voir Sfar et Trondheim prendre l’expression « race supérieure » au pied de la lettre, mais nos iconoclastes se feront pardonner en faisant d’Erebor, la Montagne Solitaire, et de Smaug le point de départ de leur saga à eux, dans un hommage assez élégant !
Si l’on peut émettre quelques réserves quand même sur ce nouveau tome, c’est que, visiblement destiné à nous conter l’histoire de la naissance de l’univers animal, il ne fait de ses beaux personnages principaux, ce couple de chiens hilarant et touchant, guère plus que des témoins d’une fiction qui les dépasse. Et que, du coup, – ce qui est un défaut malheureusement courant des dernières productions du Donjon – Sfar et Trondheim prennent vers la fin des raccourcis un peu brutaux pour boucler leur chapitre dans le cadre des 48 pages réglementaires : pourquoi ne pas accepter que la complexité de certains « récits complets » nécessiterait un traitement en deux volumes ?
Voilà en tout cas une seconde belle réussite, confirmant la pertinence et l’intelligence de ce « récit des origines », dont on attend la suite avec impatience.
Eric Debarnot
L’inquisiteur mégalomane – Donjon Antipodes T-9.999
Scénario : Joann Sfar / Lewis Trondheim
Dessin : Grégory Panaccione
Editeur : Delcourt
48 pages – 11,95 €
Parution : 10 mars 2021
L’inquisiteur mégalomane – extrait :