The Block Island Sound est un film que l’on aurait dû aimer, que l’on aurait même adoré aimer : à partir d’un scénario à l’intelligence inhabituelle, les Frères McManus ne réalisent finalement qu’un film tiède et, avouons-le, vaguement ennuyeux.
Ce qui est quand même rassurant, au milieu des dizaines de productions standardisées que déversent sur nous chaque semaine les plateformes toutes-puissantes qui semblent bien avoir substitué le cinéma depuis le début de la pandémie, c’est que se glissent de temps en temps des films non calibrés, clairement réalisés et écrits par de jeunes (ou moins jeunes) gens qui y croient. Qui ont quelque chose à raconter, et le racontent de manière différente. Ceux qui l’avaient vu avaient été émerveillés l’année dernière par la réussite impressionnante qu’était le The Vast of Night d’Andrew Peterson, OVNI dans tous les sens du terme qui nous réconciliait avec le film de genre à la mode du XXIème siècle. Tout ça pour dire que, devant The Block Island Sound, de la même manière, on se met à espérer qu’on tient l’une de ces perles rares qui, si elles n’atteignent pas le grand public, deviendront au moins des films cultes… Avant de, peu à peu, déchanter…
Le sujet de The Block Island Sound est finalement proche de celui de The Vast of Night, soit pour simplifier disons « Alien abductions dans une petite ville américaine »… à moins qu’il ne parle de quelque chose de complètement différent, puisqu’on n’en sera jamais vraiment sûrs, ce qui fait une large partie de son charme. Car la grande force du script de Kevin et Matthew McManus – qui ont donc écrit et dirigé ce film qui est leur second long-métrage -, c’est d’avoir évité les poncifs du film de SF horrifique en l’enrichissant d’un solide sous-texte social (la vie sur une île… même si Block Island n’est pas un rocher perdu dans l’océan, mais un lieu de villégiature situé très près de la côte Est entre New York et Boston) et psychologique, et de laisser habilement planer le doute sur la réalité de ce que nous voyons et donc sur la manière d’interpréter les comportements étranges des personnages. Car au fond, ce père et ce fils, tous deux tourmentés, prisonniers d’une vie médiocre dont ni l’un ni l’autre n’ont eu la force de s’arracher – à la différence des filles de la famille, qui se sont accomplies en quittant Block Island – ne se laissent-ils pas avant tout envahir par la dépression et sombrer dans la schizophrénie paranoïaque ? Et les « interférences » monstrueuses dont ils sont témoins, qu’elles soient réelles ou non, ne sont-elles pas finalement une réplique de leur état émotionnel et mental ?
Le choix stylistique effectué par les Frères McManus est également très valide, puisqu’ils ancrent leur film dans un réalisme quotidien inhabituel dans le « genre SF », et évitent largement toute démonstration spectaculaire, concentrant l’étrangeté sur ce fameux « son » perçu par Tom, puis, après sa mort, par Harry. On imagine bien que c’est là un choix dicté en partie par l’économie de moyens typique d’une petite production, mais en tous cas, ça fonctionne bien. Si l’on ajoute une distribution solide, toujours crédible, on devrait tenir là un « winner », un petit film qui ravira nos goûts cinéphiliques.
https://youtu.be/2P30Ynj0gxA
Pourtant, The Block Island Sound s’avère lisse, tiède, peu engageant émotionnellement, bien inférieur à la somme de ses excellents composants : il laisse peu à peu son spectateur sombrer dans une vague somnolence, qui s’apparente progressivement à de l’ennui pur et simple. Même si, objectivement, le film a de nombreuses qualités, ces qualités ne débouchent pas sur quoi que ce soit de vraiment saisissant… jusqu’à la fin, très réussie grâce au parallèle possible de l’intrigue avec la manière dont nous traitons nous-mêmes les animaux, et qui rattrape un peu ce sentiment de flottement général !
Bref, il ne manque sans doute pour que The Block Island Sound soit une vraie réussite qu’une seule chose, insaisissable, inexplicable : du talent.
Eric Debarnot