Encore un recueil de nouvelles formidables de la part de l’immense Stephen King, dont la forme olympique actuelle défie littéralement l’entendement : finalement le plus fantastique là-dedans, c’est l’auteur !
Les fidèles lecteurs du grand Stephen King savent que, même si ce sont principalement ses grands romans qui l’ont rendu célèbres, en particulier lorsqu’ils ont été relayés au cinéma avec plus (Shining de Kubrick, Carrie de De Palma, Christine de Carpenter) ou moins (Ça de Muschietti) de talent, c’est souvent dans ses recueils de nouvelles que l’on trouve les meilleures idées, voire les moments les plus touchants, les plus forts, témoignant du talent de « grand conteur américain » du Maître de Bangor. C’est donc toujours avec excitation qu’ils ouvrent un nouveau recueil de nouvelles, comme ce nouveau Si ça saigne, d’autant qu’ils savent que la déception ne sera jamais au programme !
La particularité de Si ça saigne, c’est qu’en son centre il y a un véritable roman de 200 pages (justement intitulé Si ça saigne), que à peu près n’importe quel auteur aurait publié tel quel, mais que King, qui n’est pas pingre, préfère agrémenter de trois autres récits plus courts, pour atteindre sa longueur habituelle de plus de 400 pages. On l’en remercie, d’autant qu’on aura, pour le coup, légèrement préféré ceux-ci, et en particulier les deux premiers. Explication…
Si ça saigne est né de l’amour que King a peu à peu développé pour son personnage récurrent de Holly Gibney, quasi-autiste maltraitée durant son enfance par sa mère, et ramenée à la normale – voir plus – par son amitié avec le policier à la retraite Bill Hodges et par la nécessité de conduire des enquêtes policières de plus en plus exigeantes au sein du cabinet « Finders Keepers » (Holly a été d’ailleurs très joliment incarnée par Justine Lupe dans la série TV Mr. Mercedes, et beaucoup moins finement par Cynthia Erivo dans la maladroite adaptation télévisée de The Outsider…). King lui fait ici le beau cadeau d’une enquête dont elle est l’unique héroïne, et il est difficile de lui en vouloir, tant le personnage est passionnant avec ses fêlures et son combat permanent pour « rester normale ». Ce qui est dommage, à notre avis, c’est d’avoir aussi voulu faire de Si ça saigne une nouvelle rencontre avec un « outsider », au prix de distorsion exagérées du concept initial pour le faire rentrer dans l’idée de départ (excellente) d’un présentateur télé toujours présent au bon endroit lorsqu’il y a une catastrophe… et du sang. C’est d’autant plus dommage que le suspense de la dernière partie est très bien mené, et que Si ça saigne est donc parfaitement efficace.
Mais les deux perles du recueil sont plutôt, d’abord, le Téléphone de M. Harrigan, long récit assez peu fantastique dans sa première partie tournant autour de la découverte de la technologie du téléphone portable par un redoutable requin capitaliste qui se pensait « à la retraite » : aussi passionnant que pertinent !… Et, meilleur encore, le surprenant La Vie de Chuck, assemblage surréaliste et en forme de compte-à-rebours de trois épisodes de… la vie de Chuck, parcourant des genres différents, de la SF du premier (on croirait lire une nouvelle du grand Richard Matheson !) au fantastique classique du dernier, en passant par un merveilleux passage sur le bonheur de la danse : du très, très grand Stephen King, à la fois bouleversant et brillant !
Le recueil se clôt un peu sur un bémol, avec Rat, une adaptation contemporaine mais finalement assez peu surprenante d’un conte de fées classique, qui est surtout l’occasion pour King de décrire une fois encore la difficulté du travail de l’écrivain, avec un héros confronté non pas à l’absence de mots, mais à leur trop grande abondance, et à la difficulté infernale du choix de la bonne expression. Et ça c’est passionnant !
Bref, encore un livre de Stephen King complètement immanquable !
Eric Debarnot