Six ans après la dernière sortie, et avoir vu Jean Felzine convoler d’amour musical avec Jo Weddin, voici revenir le trio le plus auvergnat de Paris. Mustang est de retour empreint d’un cynisme grinçant qui sied à sa maturité dans la vie et le business. Un album qui démontre une fois encore qu’ils sont un des groupes rock qui compte en France. Et punaise on est toujours trop peu à le savoir.
En m’apprêtant à critiquer le nouvel album de Mustang, je me suis demandé depuis combien de temps je suis coupablement fan de ce groupe. Et de me rendre compte que la première itération que j’ai écoutée, des natifs de Clermont-Ferrand, date de 2009. Petite claque de réaliser que A71 (l’autoroute Clermont-Paris) est un album ancien. Il n’a pas trop vieilli, parce qu’il est intemporel.
Ainsi, depuis 12 ans à chaque sortie du groupe, devenu en partie parisien depuis, je fustige le relatif anonymat qui maintient Mustang au rang des petites pépites musicales qu’on glisse à ses potes étrangers quand ils nous demandent : “Tu as quoi comme groupe rock qui représente la France ?” Petit privilège du connard qui évite de balancer La Femme, Feu! Chatterton ou Radio Elvis depuis que citer Noir Désir c’est aussi avouer son âge de vieux con.
On a (trop) accolé l’étiquette rockabilly au groupe à ses débuts, en oubliant la composante Ramones, Pixies ou grunge, énergies qui soutenaient l’ensemble. Ça a eu plusieurs conséquences.
Le rockabilly, pour accéder à la hype, ce serait comme dire que tu es allé à la fête de ton village, le 14 juillet, et que tu t’es éclaté en dansant un madison. Genre. On ne dit pas qu’on aime le rockabilly de tonton René, (mais si, celui qui a la chemise de flanelle et le pento…). Un groupe rockabilly, même avec la capacité narquoise d’écriture satirique de Jean Felzine, ça ne peut pas devenir « le groupe du moment ». C’est écrit dans le manuel de la reconnaissance publique. Tout le monde sait ça.
Ensuite, parce que ça a obligé le groupe à se positionner musicalement par rapport à cette étiquette honnie même par eux. Avec le temps, Mustang a gommé consciemment, et de plus en plus, cette référence sonore. On le sent sur Memento Mori. Rémi Faure tente des rythmiques plus alambiquées (alors que c’est un comble : c’est lui qui avait endossé le look de punk dans le groupe). La guitare est légèrement descendue dans le mix, les solos sont moins classiques, plus hendrixiens, et les synthés se font de plus en plus de place. « Krautabilly » qu’ils disent maintenant. Alors c’est encore un groupe fifties, Mustang ? Réponds à ça l’étiquette. En fait sur Memento Mori, seuls Perdu mon temps, Pas de Paris, Le vin et Artificier sont directement rattachables à la filiation musicale Mustang “historique ». Johan Gentile aux commandes ? Il y a dans ces titres toutes les composantes fifties et sixties qui faisaient la signature du groupe. Mais même dans ces cas de figure, le groupe vise la surf musique, le garage : plus que les hot rods, les vibes ; la vague plutôt que le 4/4 rock basique. Bon ils le font bien, et ces titres là sont aussi parfaits pour accompagner votre petit jogging dans un périmètre de 10 km Covid qu’à siffloter sous la douche. Ben quoi ? En 2021, on a que ça à foutre, de toutes façon.
Enfin, parce que le rôle d’éternels outsiders laisse des traces jusque dans l’écriture. Memento mori est un album relativement sombre, dans ses textes pourtant ciselés et dans la simplicité du vocabulaire, marque de fabrique de Felzine. Y passent pêle-mêle, l’honnêteté (musicale ?), les fils de, les connards médiatiques (mention spéciale aux uppercuts de dissident), l’entêtement dans un style musical qui ne rend pas la célébrité douce et sans doute pécuniairement avantageuse, la course au chèque de pôle emploi, les gens qui disparaissent avec leurs rêves et leurs rancœurs, et l’ivresse qui atteint la poésie de la nostalgie. Felzine est très fort en texte, pour faire sonner le français à l’américaine. Preuve quand il traduit Hank Williams (maison sur la colline), on dirait du Mustang. J’aime toujours son vibrato, et cette capacité à aller chercher les notes plus aiguës en partant du grave. Comme Elvis, Bo Didley et… Dick Rivers.
De mon côté, je reste fan. Je ne me refais pas. J’admets pourtant qu’il m’a fallu plusieurs écoutes pour comprendre que le côté moins “immédiat” de l’album n’est en fait pas désagréable, ni une preuve d’essoufflement artistique, mais un changement dans l’appréhension artistique du groupe ; que le synthé n’est pas qu’un camouflage de références, mais une manière d’enrichir musicalement les morceaux où je recherchais initialement la pop immédiate, basique, quasi yé-yé. Et que je peux passer plusieurs écoutes sans faire gaffe aux paroles. Pas cher de la nuit, par exemple, n’aurait musicalement pas dépareillé dans le catalogue Lithium de la fin des 90’s.
Une belle livraison de circonstance. Qui s’adapte bien à la période un peu morose que nous vivons, sans contact social, sans concerts…. Grisaille que Mustang arrive à transcender dans son premier album depuis 6 ans. Moi je vous aime les gars. Et j’ai toujours préféré le Puy de Sancy à la butte aux cailles.
Denis Verloes