Aurélien Bellanger signe avec Téléréalité son roman le plus court et le plus accessible. 250 pages très addictives pour se rappeler ce qu’était la télé des années 90 et aussi pour apprécier le ton caustique et le style percutant de cet auteur révélé en 2012 avec La théorie de l’information.
Dès son premier roman, Aurélien Bellanger s’est intéressé à des personnages qui ont comme caractéristique commune d’être des self-made-men, des hommes qui ont réussi tout seul et qui, à leur manière, on été des précurseurs, des novateurs dans leur domaine. Tout comme Xavier Niel – précurseur à l’époque du Minitel puis au début d’internet en France avec sa société Free – qui a servi de modèle au personnage principal de La théorie de l’information, Stéphane Courbit – producteur de télévision pour Dechavanne ou Arthur puis, plus tard également, patron de la société Endemol France – constitue un personnage qui s’inscrit parfaitement dans la littérature d’Aurélien Bellanger. Une littérature Balzacienne mettant en scène des hommes issus d’un milieu modeste et qui par leur ambition, leur intelligence ou leur sens de l’économie, ont réussi à devenir des figures importantes dans leur domaine.
Sébastien Bitereau, personnage fictif mais portrait déguisé de l’homme d’affaires de Stéphane Courbit, a démarré tout en bas de l’échelle, lui le jeune provincial qui a quitté sa Drôme natale pour venir travailler dans la capitale, au départ comme assistant dans l’émission de La roue de la fortune avant de conquérir pas à pas le monde de la télé en compagnie de présentateurs vedettes et avec de nouveaux concepts télévisuels importées ou non de l’étranger qui vont révolutionner l’univers de la télé dans les années 90. Parmi ces émissions, Loft Story, première expérience de télé-réalité en France, va faire de Sébastien, producteur discret et ambitieux, un homme d’affaires incontournable de la télévision commerciale en France et en Europe.
C’est de ce destin fascinant, celui d’un Rastignac des temps modernes, de ce provincial qui va dévorer la télé que nous parle Bellanger. Un garçon banal dont on va suivre l’ascension fulgurante durant 250 pages, un homme d’apparence assez lisse et qui pourtant va construire, à l’abri des caméras, un empire médiatique immense.
Dans un style vif, très direct, avec un ton caustique et souvent assez désopilant – que l’on apprécie d’ailleurs toujours autant chez Bellanger – l’auteur de L’aménagement du territoire remonte le temps pour nous raconter dans un récit précis et très documenté 25 ans de télévision ; les plus importantes sans doute. Ces années « télé-poubelle » comme on aimait les appeler, qu’il décrit et analyse avec un regard très aiguisé, celles de tous les excès, celles des « Voleurs de Patates » – comme les appelaient à l’époque les Guignols de Canal, ces présentateurs-producteurs qui se gavaient avec l’argent de la télé publique – et qui ont fait basculer télévision dans une nouvelle dimension, et notamment quand Internet s’est invité dans la danse médiatique, pour fusionner avec le bon vieux tube cathodique, quasiment moment où la téléréalité entrait dans les foyers français.
On croisera au détour des pages de ce roman jubilatoire des gens aussi divers que Corbier, Charles Trenet, Pascal Sevran et même un Jean-Luc Delarue dans un sale état, un lendemain de fiesta dans son appartement. Et pour clore cette épopée médiatique, Bellanger nous offre en guise de bouquet final un dernier chapitre complétement dingue et très drôle sur ce que aurait pu être la vie de notre producteur vedette suite au naufrage de son yacht en mer Egée…
Benoit RICHARD