Fresque gauchesque moderne, Les aventures de China Iron de Gabriela Cabezón Cámara est un roman fort et puissant, une féérie poétique, un fleuve qui vous emporte, une défense de l’humanité et de la liberté, du refus de la soumission aux règles imposées par d’autres.
Quand on la chance d’avoir un des livres de Gabriela Cabezón Cámara publiés en France, d’abord on remercie l’éditeur – les Éditions de l’Ogre – et puis on se jette dessus, évidemment. Parce le livre a figuré dans la sélection finale du Booker Prize pour le meilleur livre étranger de 2020. Parce que Gabriela Cabezón Cámara est une des autrices argentines les plus remarquables et les plus remarquées. Parce qu’elle est une écrivaine engagée. Écrivaine pour être engagée et mener des combats. Son travail est typique de cet art sociétal qui fait de l’artiste un acteur du changement social, le porteur d’un message d’espoir et de renouveau pour des minorités opprimées.
Roman gauchesque du 21e siècle
Les aventures de China Iron s’inscrit dans ce qu’il est convenu d’appeler la littérature gauchesque – une partie de la littérature sud-américaine (argentine et uruguayenne) très populaire dont on imagine, même sans l’avoir fréquentée, quels en sont les contours… D’abord, le gaucho, souvent un métis-hispano-indien solitaire et rejeté par la société, souvent orphelin. Ensuite, la Pampa que le gaucho parcours seul à cheval et avec sa guitare. Aussi, très important, le conflit entre la ville et la campagne et, d’une certaine façon, entre la tradition et le progrès ; la littérature gauchesque est une littérature de critique sociale forte et dont la force a augmenté au fur et à mesure que le gaucho disparaissait, qu’il devenait un mythe qu’il s’agissait de défendre. On trouve donc tout ça dans Les aventures de China Iron mais adapté au début du 21ème siècle. Si l’art doit servir à défendre des causes, alors il doit défendre les causes qui méritent de l’être aujourd’hui. On peut y voir une défense du féminisme, de la sororité … on peut y voir une défense de la liberté, de l’humanité – au-delà des genres et des causes –, de l’amitié et de l’amour entre les êtres.
Le phalanstère de l’humanité
Le personnage principal qui raconte l’histoire n’est pas un gaucho mais une gaucha… Abandonnée par son père, maltraitée par sa belle-famille, Chica part traverser la pampa avec une écossaise qui a été envoyée par son mari pour prendre possession d’une ferme. Le voyage est long. Les rencontres sont nombreuses, douces, belles et pleines d’amitié mais aussi, parfois, dures et violentes. Les sentiments sont beaux et pleins — Chica et Elisabeth deviennent amantes, mais finissent dans une communauté où toutes les frontières, barrières, normes sont abolies. Il ne reste que des êtres humains. Il ne reste que la plénitude d’une humanité non divisée. Plutôt, tous ceux qui ont un minimum d’humanité en eux se retrouvent dans une sorte de phalanstère au fond de la Pampa, là où la violence du capitalisme sauvage et industriel ne pourra pas les atteindre. Le roman se termine. On espère — on souhaite — que la vie qu’ils commencent à construire pourra s’épanouir.
Féérie poétique
La littérature gauchesque a souvent donné, en tout cas à ses débuts, des récits poétiques. C’est aussi le cas de Les aventures de China Iron — rendons hommage à la remarquable traduction de Guillaume Contré; on imagine la difficulté et le plaisir à traduire un tel roman. Les aventures de China Iron n’est pas qu’un roman sociétal, une fresque à thèse. C’est un grand roman écrit dans une langue magique. Les paysages sont somptueux, les couleurs magnifiques, la boue colle aux chaussures et les repas sont savoureux, les peaux sont douces et soyeuses, les bourdonnements des insectes agaçants et les énormes troupeaux de vaches envahissants. Le Paraña est énorme, le brouillard inquiétant et les chansons résonnent à nos oreilles. Une féérie poétique. Ce n’est pas très surprenant : Gabriela Cabezón Cámara est une extraordinaire conteuse. Sa chronique sur Maradona est belle à en pleurer.
Alain Marciano