Avec L’Été de Kikujiro, Kitano remise les flingues au placard et part en road-trip sur les routes d’un Japon beau comme un rêve. Une respiration bucolique loin du Japon violent et ultra-urbanisé du crime et des Yakuzas, Kitano assoit définitivement sa réputation de cinéaste culte avec ce film superbe.
Masao est bien triste lors de ces vacances d’été, il est seul.
Seul à la maison avec sa grand mère qui se tue au travail et qu’il ne voit jamais.
Seul en short sur ce terrain de foot à attendre ses coéquipiers qui ne viendront pas.
Seul dans ses baskets de gamin de 8 ans, séparé de sa mère, l’oeil triste et l’air pataud.
L’été s’annonce long et mélancolique, comme le regard de Masao.
Mais notre petit héros va faire la connaissance, grâce à une amie de sa grand mère, d’un drôle de bonhomme.
Ancien Yakuza devenu petit voyou. Joueur invétéré, mauvais perdant, tricheur et grossier comme un charretier. La panoplie complète de l’infréquentable.
Incapable de gérer sa propre vie, mais sommé par sa femme d’accompagner le petit, retrouver cette mère tant désirée, à l’absence envahissante.
C’est donc à contre coeur et main dans la main que ces deux tristesses vont s’essayer au sourire.
Que ces deux solitudes, l’espace d’un été, vont s’effacer.
Un road-movie sauce samouraï.
Un conte initiatique où les deux personnages ont autant à apprendre l’un de l’autre.
Une traversée du Japon à pieds, par les petites routes perdues au milieu des roseaux, où un arrêt de bus fait figure d’hôtel ou de scène de théâtre.
Des bassins privés où l’on pêche la carpe Koï déguisés en Magnum.
L’apprentissage de la natation par quelqu’un qui ne sait pas nager.
Du stop en bord de mer, le cul sur le goudron avec une manière un peu spéciale d’arrêter les voitures.
Des rencontres étonnantes et détonantes, au cours de cette quête.
Au hasard d’une nuit et d’une ruelle, un croqueur d’enfant qui n’aura que ce qu’il mérite.
Une jongleuse belle comme le jour et un robot humain.
Des motards gentils devenant tour à tour pastèques, poissons et pieuvres dans un carnaval surréaliste, espérant faire fuir la tristesse dans l’oeil de Masao.
Une vieille dame mélancolique devant la fenêtre de sa maison de retraite, attendant quelque chose, un mot, une visite. Elle n’aura que le regard de son fils posé sur elle, au loin. Le regard humide et plein de regrets d’un homme, qui n’osera pas franchir le seuil de cette porte.
…Et encore des courses de vélo, des jeux, des rêves, des anges gardiens, des feuilles de Taro en guise de casquettes, des cauchemars, et des jeux, encore des jeux.
Comme pour rallonger l’été, laisser durer le bonheur, continuer éternellement la course folle de ces deux gamins dans un Japon en fleurs.
C’est un récit d’apprentissage que nous offre Kitano.
Un apprentissage particulier, sans maître, sans apprenti.
Un apprentissage nu pieds sur les routes désertes et parfumées d’un Japon beau comme un rêve.
Juste deux êtres qui apprennent.
Qui apprennent à se connaître, qui apprennent à vivre.
Qui apprennent à chasser la tristesse comme on balaie devant sa porte. Qui apprennent à se saisir du beau, du bon, du meilleur parce que le bonheur n’attend pas.
C’est Kitano qui délaisse la poésie des flingues pour la poésie des fleurs.
Qui abandonne les meurtres pour les jeux.
Qui jette aux orties son mutisme froid pour des mots.
Qui délaisse un instant Beat Takeshi le comique.
Qui délaisse aussi Kitano-San le cinéaste reconnu et encensé par la critique internationale, pour redevenir ce gamin rêveur et un peu paumé, qui attend que la chance tourne.
Jouant à » 1-2-3 soleil » et regardant le ciel, espérant, entre deux nuages, y voir son ange Gardien.
L’été de Kikujiro C’est Takeshi Kitano redevenant Masao.
Renaud ZBN