Le Serpent retrace le parcours et la traque de Charles Sobhraj, serial killer français liquidateur de jeunes routards innocents dans les années 70 le long du « Hippie Trail » en Asie. Suivant les goûts, on trouvera cela insuffisant car trop « vide » de sens, ou parfaitement fascinant.
Avouons-le, nous, Français, sommes un peu jaloux de la magnifique collection de serial killers dont nos amis Etats-Uniens peuvent se vanter ! Alors, quel plaisir que de découvrir l’histoire encore peu contée d’un vrai sociopathe français, qui a liquidé un bon paquet de jeunes hippies / routards innocents qui ont eu le malheur de croiser sa route en Thaïlande, au Népal ou en Inde durant les années 70 ! On sait en fait peu de choses du véritable parcours de Charles Sobhraj, métis vietnamien que l’on nous présente ici comme profondément blessé par le racisme dont il fut victime, enfant, et surtout – logique psychanalytique imparable – par le manque radical d’amour de la part de sa mère : combien a-t-il tué de personnes ? pourquoi les a-t-il tués, au-delà du mobile crapuleux de s’approprier leurs biens, leurs traveller checks, leurs passeports ? comment a-t-il entraîné dans ses plans criminels d’autres personnes, comme la jeune québécoise « normale » Marie-Andrée Leclerc ?
La mini-série britannique le Serpent, consacrée à Sobhraj, ses méfaits, puis sa traque par une petite équipe d’expats européens à Bangkok, sous la direction d’un fonctionnaire hollandais obstiné, puis obsédé, qui va d’ailleurs se heurter avant tout à la bureaucratie et à l’indifférence des autorités, ne nous révèlera pas grand-chose de plus que ce qu’on sait sur cette abominable histoire : les scénaristes se sont en effet gardés d’extrapoler pour se borner plus ou moins aux faits connus (à ce jour, Sobhraj purge toujours une longue peine dans les geôles népalaises, sans avoir été jugé pour la plupart de ses crimes probables…). D’un côté, c’est là un choix honorable, qui évite de nous nourrir d’une fiction trop arrangeante, mais d’un autre, cela prive le Serpent à la fois d’« insights » potentiellement passionnants sur les mécanismes de séduction et de pouvoir déployés par Sobhraj, mais aussi de la tension que l’on attend d’habitude d’un tel scénario de « thriller »…
Le choix fait par les scénaristes Richard Warlow et Toby Finlay est de tenter de créer une dynamique narrative et émotionnelle en multipliant les allers-retours temporels centrés sur des victimes spécifiques de Sobhraj : cela fonctionne quelques fois, indiscutablement, en créant un lien d’empathie entre le téléspectateur et les futures victimes, qui disparaissent ensuite implacablement annihilées par un monstre (des monstres ?) qui ne perçoit (perçoivent ?) jamais la moindre humanité en elles. Mais la plupart du temps, ce procédé s’avère plus fatigant que réellement passionnant…
Si le Serpent reste toutefois une véritable petite réussite, en dépit de ces limitations, c’est d’abord grâce au sentiment croissant d’horreur absurde qui se dégage de ce spectacle aussi froid que mortifère… Mais c’est aussi grâce à la recréation parfaitement réaliste de l’époque, des pays, et surtout de l’univers et du mode de vie des expatriés et des routards en Asie : c’est un monde disparu, avec ses vices et ses vertus, que le Serpent fait renaître sous nos yeux, et c’est un délice de se laisser ainsi emporter sur les chemins de Katmandou, de Bangkok ou d’ailleurs. De plus, et même si nombreuses sont les voix qui s’élèvent pour critiquer l’interprétation figée de Tahar Rahim, le choix de ne jamais chercher à transpercer le masque impassible de Sobhraj, de laisser l’énigme de sa personnalité irrésolue jusqu’au bout (on ne peut comprendre par exemple, pourquoi il aura fait le choix de retourner au Népal, alors que son plan pour échapper aux plus lourdes condamnations avait parfaitement fonctionné !) nous semble à la fois honorable et logique, pour éviter de sombrer dans des explications psychologiques faussement rassurantes.
En conclusion, le Serpent est une série assez inhabituelle, qui frustrera certains téléspectateurs et en enchantera d’autres, paradoxalement pour exactement les mêmes raisons.
Eric Debarnot