On se rend compte de l’importance de quelqu’un quand son retour remplit tous les espaces laissés vides par son absence. Peter Silberman et son projet The Antlers avaient disparu, et les nouvelles que l’on entendait ici et là ne laissaient rien présager de bon. Certes Impermanence, son disque solo de 2017, nous avait un peu rassurés. Explications avec le principal intéressé sur une renaissance avec ce Green To Gold apaisé.
Benzine Magazine : Cela faisait 7 ans que l’on n’avait pas eu de nouvelles de The Antlers, si l’on fait exception d’Impermanence, votre magnifique disque en solo en 2017. Qu’est- ce qui a causé ce silence ?
Peter Silberman : Ma vie a été très compliquée ces dernières années, avec son lot de changements entre Familiar, le dernier album de The Antlers et celui-ci. Déjà avec Impermanence, le plus gros des ennuis avait commencé, en effet Impermanence évoque mes soucis de santé, ma perte, fort heureusement temporaire, de l’audition. En plus de cela, j’ai eu de gros soucis au niveau de mes cordes vocales, ce qui m’a forcé à reconsidérer totalement ma manière d’appréhender le chant, mais aussi comment j’allais être amené à revoir ma manière de composer des chansons. Je ne pouvais et je ne peux toujours pas pousser ma voix dans ses extrémités, comme j’ai pu le faire par le passé comme sur Hospice par exemple. Je me devais d’être plus prudent si je voulais continuer à chanter. Et puis je crois que ces problèmes de santé ne sont que les symptômes d’un burn out général, dans lequel je me suis trouvé à la sortie de Familiar. On a fait une tournée d’un an et demi et on était épuisés, mes ennuis de santé sont arrivés peu de temps avant le début de la tournée comme si mon corps me disait stop, mais je n’ai pas voulu et je ne pouvais pas m’écouter.
En sortant de cette tournée, j’ai décidé de quitter New York, pour partir vivre à la campagne, cette période de deux ans a été comme une étape de ré-acclimatation, j’ai réappris à vivre, je me suis installé là. J’ai monté un petit studio d’enregistrement. J’ai connu une grande période de doute qui m’a poussé à me regarder en face, à voir comment je voulais vivre avec la musique. Je n’étais même pas sûr à l’époque de vouloir continuer à faire de la musique, en tous les cas plus dans les conditions que j’avais connues jusque-là.
Impermanence, mon disque solo est quelque part comme une expérience, pour voir comment je pouvais continuer à écrire des chansons, continuer à les incarner sur scène tout en préservant ma santé. J’ai beaucoup appris sur moi durant cette période. J’ai su que si un jour je refaisais un album de The Antlers, il serait très différent de ce que j’ai fait jusqu’ici. Impermanence, en tous les cas, était un album bien plus underground, plus difficile aussi peut-être, qui m’a permis de regagner un peu de confiance, j’ai compris que je pouvais sortir un disque par moi-même sans l’aide d’un label. Cela a d’abord été une phase de doute et d’attente, mais je me suis vite rendu compte aussi que j’étais peut-être plus libre que par le passé. Sur Impermanence aussi, j’ai osé partir de moi comme sujet, alors qu’avant je partais toujours du monde extérieur.
Sur New York extrait d’Impermanence, vous dites : « When my nerve wore down, I was assailed by simple little sounds: Hammer clangs, sirens in the park, Like I never heard New York ». On a l’impression que d’être confronté à ces problèmes auditifs vous a ramené à quelque chose d’essentiel, au silence peut-être. En quoi cela a-t-il influencé votre perception du monde et votre appréhension de la composition ?
Peter Silberman : Je crois que cette perte des sens m’a amené à réévaluer totalement ma perception de mon environnement, cela m’a permis de reconnaître l’importance de mon environnement et du monde qui m’entoure, mais aussi le contexte dans lequel j’écrivais ma musique. Je me plaisais à m’imaginer comme un être adaptable à toutes circonstances, mais j’ai dû reconnaître que je n’étais pas comme ça, et que c’était peut-être meilleur pour mon processus de guérison de m’éloigner de la ville. Je crois que l’environnement plus paisible m’a amené vers une forme d’apaisement également. Cela peut sembler évident si on prend 30 secondes pour y penser, mais quand tu vis le rythme de fou que nous avons à New York, tu n’as presque plus le temps de réfléchir, justement. Vivre dans un milieu plus calme ne pouvait qu’être bénéfique pour moi, mais aussi pour la création de mes chansons. New York commençait à parasiter ma musique, car je ne trouvais plus de repos.
Piers Faccini parle du silence comme un élément essentiel de la composition. Qu’en est-il pour vous ?
Peter Silberman : J’ai pensé la composition en ces termes pour Impermanence, en essayant de permettre au silence d’être son propre instrument, je voulais que le silence affirme sa propre présence dans les compositions, quelque part c’était travailler avec l’espace.
Pas mal des disques de The Antlers étaient plus dans une emphase qui étouffait parfois l’espace par l’instrumentation, la texture et les arrangements. Quand j’ai voulu travailler sur le silence sur Impermanence, je ne le pensais pas seulement comme un non-son ou un instrument, mais comme aussi une texture. J’essayais de poser la question de « qu’est-ce qui est rien ? Qu’est-ce que le néant ? » dans une démarche musicale, à quoi ressemble le son du vide si vous préférez. D’être capable de faire un disque avec aussi peu d’éléments et de créer autant d’espace pour ce silence, pour cette présence du Rien. Je ne crois pas avoir donné de réponses complètes à ces questions, mais cela m’a permis de ne plus avoir peur du silence, et de l’accepter comme une entité nécessaire à une composition.
J’ai voulu faire un disque mystique et spirituel, qui permette à chacun d’essayer de trouver son silence propre. Dans toutes les grandes démarches spirituelles, il y a toujours de près ou de loin un rapport au silence. Prenez une église ou un temple, c’est un lieu qui a été construit pour le silence, pour permettre à chacun de se sentir visité par une présence silencieuse, c’est un lieu qui vous isole du bruit du monde. J’ai abordé cette idée du silence pour Impermanence, mais beaucoup moins pour Green To Gold. J’avais l’impression qu’après l’expérience d’Impermanence, j’avais le droit de remplir à nouveau l’espace et le silence. Je crois que je devais faire Impermanence pour pouvoir me dire ensuite que je pouvais aller où bon me semblait.
J’imagine qu’il y a dû avoir des moments de doute, la crainte de ne plus jamais pouvoir composer ni chanter.
Peter Silberman : J’ai eu cette expérience du doute en deux occasions, dans un premier temps quand j’ai perdu l’audition, et dans un second temps quand j’ai rencontré ces problèmes avec mes cordes vocales. Ce qui m’a permis d’en sortir, c’est d’accepter de ne pas rester figé dans ce que je faisais avant avec The Antlers. J’ai fini par comprendre que la musique trouvait toujours la forme dont elle avait besoin pour vivre, peu importe les conditions.
Et puis mon style, ma manière de chanter ont évolué année après année. Je ne suis plus le même chanteur que celui que j’étais à mes débuts. J’ai compris que je devais travailler ma voix différemment, et que forcément cela allait interférer sur mon esthétique, sur le style de ma musique. Bien sûr qu’à certains moments, ces doutes ont été paralysants, mais je me suis vite ressaisi en me disant que je devais prendre cette épreuve comme une opportunité de totalement repenser comment je faisais les choses. Cela a vite évacué le doute, car j’ai compris qu’en partant du e postulat de totalement me remettre en question, je pourrais chanter et composer à nouveau et incarner mes chansons sur scène.
Je me suis dit « Ok, je vais faire une musique plus calme pendant un temps car chanter mon répertoire passé reste difficile physiquement. Chanter fort et jouer fort, je ne le ferai plus. » Mes problèmes de cordes vocales m’ont forcé à trouver des parties de chants plus faciles à appréhender. Rester sur mes acquis et ce que je faisais avant n’aurait fait qu’aggraver mon état de santé. Je devais trouver des mélodies confortables pour ma voix.
Cela a été une excellente leçon pour moi en tant que compositeur, car j’ai compris que je pouvais simplifier mon propos tant du côté des paroles que de la musique, de ne plus complexifier mes compositions comme j’avais tendance à trop le faire par le passé. Cette simplification dans le propos a vraiment annulé le doute. Cette idée de tout simplifier est arrivé très tôt dans la maturation de Green To Gold, cela a enlevé une grosse part de pression, et cela m’a vite paru moins insurmontable. Me donner à moi-même la permission d’être plus simple m’a permis de moins m’interroger. A chaque fois, je partais du principe de départ que si la chanson ne venait pas facilement, je ne la forçais pas à émerger.
Chacun de vos disques avec The Antlers relevait d’un concept, pour faire simple, ressemblait à un album concept jusqu’ à Impermanence qui est pour moi une exploration du silence. Green To Gold semble s’éloigner du concept pour laisser plus la place à vous, un vous sans filtre. Pourtant, si l’on devait chercher un thème dans ce disque, ce serait peut-être le changement de soi, une idée que l’on retrouve dans chacun de vos disques. Y a-t-il dans votre travail de musicien un rapport avec la résilience ?
Peter Silberman : Oui, je crois que ce terme de thème que vous employez dans votre question est une bonne manière de présenter cette notion de concept que l’on retrouve sur quasi tous les disques que j’ai sortis. Bien sûr, Hospice était un album concept mais je perçois tous mes albums, y compris Green To Gold, comme des albums à thématique. Après Hospice, j’ai eu une envie de délaisser le concept pour le thème qui permettait de diffuser des idées plus générales. L’idée d’album concept était quelque chose de très stimulant créativement parlant, mais en même temps cela me restreignait et me forçait parfois à emprunter des chemins que je ne voulais pas.
La notion de thème a été très utile pour moi, car elle m’a permis de voir mes chansons comme des entités séparées et chacune comme l’incarnation d’une pensée, d’une sensation. Et puis j’ai changé, et cela doit s’entendre dans ce que j’écris et ce que je compose. Mon langage musical évolue aussi grâce ou à cause de ces thèmes. Je crois qu’il y a un parallèle avec ma vie actuelle dans cette volonté de regrouper des thèmes et d’évoquer le processus de changement chez un individu.
Ce qui fait que l’on pense souvent à des albums concepts quand on parle de The Antlers c’est que chaque album doit être pris comme une entité pleine, comme un tout, comme une histoire qui se raconte, comme une ligne narrative. Etes-vous d’accord ?
Peter Silberman : Oui, bien sûr, dans certains cas. Hospice est peut-être plus dans la tradition des albums concepts avec une histoire qui suit une chronologie, il y a une ligne narrative tout au long du disque, les autres disques ne sont pas à proprement parler des histoires mais ils cherchent à vous faire penser qu’ils sont des histoires. C’est plus l’expression d’une suite de sentiments que l’on cherche à traduire presqu’inconsciemment en histoire.
Y a t-il chez vous une frustration à ne pas être écrivain ?
Peter Silberman : Oui, un peu, mais beaucoup moins depuis que j’ai appris à laisser la pression derrière moi. Impermanence et Familiar sont les bons exemples d’albums où j’avais des idées bien particulières de ce que je voulais exprimer au niveau de mes paroles, j’ai eu énormément de mal à les articuler ensemble. J’ai fini par comprendre qu’il fallait que je taille dedans jusqu’à ce que lentement le puzzle prenne forme Ce n’était pas pour autant quelque chose de douloureux, j’y ai même pris du plaisir, c’était expérimenter avec les mots comme je le fais avec la musique. Je crois bien que les fois où je me suis planté c’est quand je ressentais le besoin de tout expliquer dans mes paroles, de devenir trop illustratif alors qu’il fallait laisser de la place pour l’auditeur. Oui je suis un peu un écrivain contrarié, mais je me soigne.
Pour Green And Gold, vous dîtes avoir voulu faire de la musique du dimanche matin. J’ai lu dans une autre interview que vous considériez que chacun des disques de The Antlers avait une dimension lynchienne et que peut-être Green To Gold était votre Straight Story. Green To Gold ce sera une pause de douceur comme l’a été A Straight Story pour David Lynch, ou avez-vous envie de prolonger dans cette voie ?
Peter Silberman : Pour être totalement honnête, je n’en sais rien. Je continue à écrire de la musique en ce moment. Je suis toujours dans cette douceur et ces lieux un peu bucoliques. Je crois que j’ai déjà pas mal exploré l’amertume et la monstruosité, j’y reviendrai peut-être un jour mais en ce moment, cela ne correspond pas à ce que je souhaite composer.