Pourquoi associe-t-on toujours aux disques simples une suspicion de facilité ou de tiédeur ? Peter Silberman nous montre avec ce disque inespéré de The Antlers que l’on peut allier simplicité et profondeur dans une même unité de temps, celle de Green To Gold.
C’est peut-être à cela que l’on reconnaît l’état de santé d’une société. Quand on arrive à mettre en doute l’honnêteté, l’intégrité d’un propos. Quand la simplicité est considérée comme une vertu frelatée, il faut peut-être sur notre capacité à accepter d’être touché par l’émotion. Pourtant quand on est confronté à la sincérité absolue, on ne peut que s’incliner et se laisser transporter. Il y a des choses qui ne trompent pas, un je ne sais quoi dans la posture d’un corps, dans la douceur d’un regard, dans l’affirmation du peu, comme une envie de retrouver l’essentiel dans le presque rien.
Peter Silberman, seul survivant de The Antlers avec Michael Lerner, a sans doute tout vécu dans sa vie. Les affres, les doutes, la peur viscérale, la maladie de l’autre, la sienne. Les limites qu’un corps impose soudainement. Cela faisait sept ans que l’on n’avait plus de nouvelles de The Antlers, ce groupe new yorkais qui avait pourtant, jusque là, construit une discographie exemplaire avec pour motif central l’envie de raconter des histoires, de dresser le portrait de personnages, de laisser deviner le frisson d’une vie de leur auteur. Une vie que l’on a imaginé longtemps torturée, chargée d’effroi et d’angoisse tranchante. Sur Green To Gold, plus rien de tout cela ou alors peut-être une mise à distance de cette angoisse qui reste tapie dans l’ombre des chansons. On sait que Peter Silberman a traversé de graves problèmes de santé qui l’ont éloigné de la scène musicale. Des soucis d’oreilles et de cordes vocales qui l’ont amené à s’interroger sur son appréhension du chant et de la composition.
Jusqu’ici, on avait connu une frontalité dans le propos, parfois même un certain cynisme, une âpreté largement affirmée. Quelque chose a muri dans la musique de The Antlers. C’est un peu comme un visage que l’on regarde avec une acuité inhabituelle, lentement les rondeurs d’une adolescence s’évaporent pour laisser apparaître l’homme d’âge mur. Il y a quelque chose des cycles de la vie dans ce Green To Gold, une possible macération, une probable maturation. Certains n’entendront rien à ces paysages bucoliques, à cette douceur irradiante, à cette envie de sagesse, à cette perception du temps qui passe, de la nature qui frémit, des saisons qui se suivent et sont comme autant de renaissances.
C’est un peu comme si avec Green To Gold, Peter Silberman avait voulu faire son Harvest, un endroit comme un refuge où il pourra revenir d’année en année. A coup sûr, Impermanence, son joyau en solo de 2017 a nourri de son esprit Green To Gold mais là ou le disque de 2017 considérait le silence comme un instrument, Green To Gold s’inspire de son environnement pas dans une démarche vaguement écologique mais bien plus animiste. Comme si la nature, à elle-seule, communiquait à travers les mots et les mélodies de Silberman. Comme Peter Silberman le dit dans l’entretien qu’il nous a accordé, Green To Gold est un album généreux. Etrangement, il est aussi économe, d’une économie indispensable comme si Silberman sentait que ses dernières forces étaient déjà faibles et qu’il lui fallait les épargner. Jusque dans ses mots et son écriture blanche, il dit peu mais le dit bien. D’où cette impression de simplicité qui court tout au long de l’album.
Certains verront dans cette simplicité une forme de facilité, ils se trompent car au fur et à mesure que l’on découvre ces titres, on y entend bien plus de subtilité et de complexité peut-être moins évidente que par le passé. Silberman, côté orchestration, a délaissé les formules en couches qui ont fait les bonheurs d’Hospice pour une écriture plus fluide et plus sibylline.
Sur Green To Gold, Peter Silberman a délaissé l’idée du concept, de l’album concept qui parfois l’enfermait un peu. On est ici plus dans une suite de thèmes, dans une couleur musicale qui pourrait emprunter aux vocabulaires des musiques de films ou de la musique classique. Et puis, il faudra s’interroger sur la présence de ces instrumentaux à des moments clés de Green To Gold comme ce Strawflower en ouverture que l’on pourrait comprendre comme la mise en place d’une scénographie ou comme un chapitrage d’un bon livre. Car Peter Silberman soigne ses entrées comme un auteur soigne la pertinence de la première phrase d’un Roman. un « Aujourd’hui Maman est morte » que l’on n’oubliera plus, une pensée qui ne nous quittera plus.
Et puis Peter Silberman semble se plaire à faire comme des échos entre ces disques. Wheels Roll Home dans sa thématique d’une quête d’un chez soi, d’un lieu où se sentir bien évoquera Refuge sur Familiars. Que ceux qui craindraient de ne pas retrouver les Antlers soient rassurés, la musique de Peter Silberman a vieilli, pris quelques rides, quelques cheveux blancs viennent se répandre au milieu de la tignasse brune. Mais l’artiste Silberman est toujours là, porté par une sincérité et une générosité qui n’est propre qu’à ceux qui ont cru tout perdre. Il serait peut-être temps avec ce retour inespéré de The Antlers de prendre conscience de toute l’importance, de toute la pertinence, de toute l’intelligence et de toute la subtilité que dégagent les hymnes miniatures des américains.
L’Americana est souvent la musique des grands espaces, de la nature vibrante. La musique de Peter Silberman est d’une autre condition, c’est un dialogue entre l’humain et le sauvage, entre le vent et la pierre, entre l’animal et le silencieux. Il faudra se laisser aller, s’abandonner doucement pour entendre le chant de l’arbre creux, la résonance de la terre sous nos pas, la fièvre de la chaleur de l’eau du lac.
La musique de Peter Silberman et de ses Antlers est dans un entre-deux impalpable, entre rêverie et divagation, entre méditation et pleine conscience de soi. Comme une thérapie sans mot, comme un silence qui soigne.
Greg Bod