Découvrir ou redécouvrir l’histoire du Velvet Underground, ce groupe séminal qui nous fascine toujours, plus de cinquante plus tard, voilà ce que nous propose Prosperi Buri avec un livre plus singulier qu’il ne semble à première vue.
Une histoire du Velvet Underground est un livre aussi utile qu’original.
Utile, la BD de Prosperi Buri, le sera pour tous les malheureux qui ignoreraient encore que le Velvet Underground est l’un des groupes les plus importants de l’histoire de la musique du XXème siècle, que l’on aime ou pas sa musique, ou ceux qui n’auraient pas encore découvert l’étonnante et paradoxale histoire de ces jeunes gens pris – plus ou moins involontairement – dans la tourmente hype générée à New York en 1966-1967 par Andy Warhol, qui leur permettra d’exister mais les détruira en même temps. Car, lu comme biographie d’un groupe exceptionnel dans une époque qui ne l’était pas moins, Une histoire du Velvet Underground contient la quasi-totalité de ce que l’on sait aujourd’hui de la rencontre de Lou Reed et de John Cale, qui donna naissance au Velvet, de son intégration dans les plans barjos de Warhol (avec Nico en chanteuse temporaire comme cadeau-surprise), et du long et vain combat – enfin, l’histoire durera moins de 4 ans ! – du groupe pour accéder à un minimum de succès commercial, avant que Lou Reed ne jette l’éponge. Tout ce que vous lirez ici est vrai, ou du moins est considéré comme vrai aujourd’hui… Et est passionnant, parce que récit de Buri conjugue parfaitement l’habituelle et triste histoire des conflits d’ego (avec Warhol, entre Cale et Reed…) et la mise en perspective de ces trajectoires individuelles dans un instant particulièrement important pour la culture américaine (entre l’explosion du mouvement hippie sur la côte Ouest et l’avant-garde artistique new-yorkaise, beaucoup de bases étaient établies pour les années à venir). Si l’on peut regretter l’épilogue / bilan un peu didactique, sur l’importance historique du groupe, en forme d’interview de John Cale et Moe Tucker, seuls survivants de l’épopée du Velvet, qui a tendance à mettre un peu trop « les points sur les i », le reste est impeccable, tant du point de vue des faits que de la narration, fluide et agréable.
Original, Une histoire du Velvet Underground l’est réellement, grâce à des choix formels plus audacieux qu’ils ne paraissent à première vue. Car au « noir » qui semble s’imposer comme une évidence pour illustrer une histoire pleine de dépravation, de déviances, avançant en une succession de crises existentielles et de meurtres symboliques, Buri a préféré le rose de ces volutes qui se dégagent de la bouche de métro sur la couverture de Loaded, et qui a ici envahi totalement l’album, dans un contre-pied saisissant par rapport à l’imagerie sombre et vénéneuse du groupe et de ses héritiers. Mieux encore, Buri a choisi l’humour – léger, mais quand même bien présent – pour dédramatiser tout ça : sans forcer le trait, il pointe avec bienveillance le ridicule de bien des situations et de bien des postures qui sont devenus des stéréotypes du rock’n’Roll : les poses sinistres et arrogantes, le port des lunettes noires, etc. Tout cela est-il aussi sérieux que Lou Reed et sa bande, relayés par des critiques de rock qui se sont affairés à construire une véritable légende autour du groupe, ont voulu nous le faire croire ? Bien sûr que non, rétorque Buri : le ridicule n’est jamais très loin (par exemple lors de l’épisode « Nico »), et c’est très bien comme ça…
Car ce que Buri nous dit ici, avec une légèreté qui enchante la lecture de son livre, c’est que ces gens n’étaient bien que des humains ordinaires, avec toutes leurs tares… ce qui n’empêche nullement que leur musique ait été l’une des plus belles et plus fortes choses entendues au cours du XXe siècle. Et ce paradoxe, classique dans l’art, vaut la peine d’être rappelé à tous ceux qui ont tendance à placer les artistes sur un piédestal. Lou Reed était plus que probablement un parfait « connard » durant ses jeunes années, mais il a marqué son époque grâce à son génie : le fait de rire – un peu – ici de lui ne change rien à notre admiration, à notre amour pour sa musique.
Eric Debarnot