Françoiz Breut continue de constituer une oeuvre étrange à la fois lunaire et lucide, onirique et au plus prés de la réalité la plus crue. Sur Flux Flou De La Foule, accompagnée de Marc Melia et Roméo Poirier, elle échappe aux étiquettes et aux références. Un objet sonore à la fois clair et déroutant.
Chez les créateurs, il y a ceux qui affirment, qui posent une conviction chevillée au corps dans des mots raisonnés et puis il y a ceux qui puisent à une forme d’écriture automatique, à quelque chose qui ressemble à une sorte d’errance à la fois cérébrale et onirique. Ces derniers sont toujours à mi-chemin de la réalité de laquelle nous vivons et nous nous dépêtrons mais aussi d’un ailleurs incertain comme un champ d’éther et de balises.
Françoiz Breut, celle que l’on a trop longtemps qualifiée d’ex de, entre dans cette seconde catégorie. Chez elle, ne venez pas chercher de volonté politique dans ces descriptions d’un monde au bord de l’asphyxie, chez elle, il n’y a pas, on le sent, cette volonté à se poser en moralisatrice définitive, en donneuse de leçons sans réponse. Peut-être faut-il plutôt aller chercher une envie de glisser un peu de poésie dans ces escalators automatiques désarticulés, dans ces villes cannibales.
Elle, que l’on a longtemps qualifiée d’évanescente, de minimale, de distante glisse une étrangeté ambiguë au milieu de ces circonvolutions pop teintées d’électronique. Flux Flou De La Foule s’avère un disque de contraste, une œuvre bipolaire où cohabitent futilité et lucidité. Flux Flou De La Foule est un disque foisonnant. Il faudra s’intéresser tout autant aux textes qu’aux multiples détails qui hantent les arrière-plans, les jeux comme des collages de Marc Melia (croisé aux côtés de Borja Flames) ou de Roméo Poirier. Si l’on devait définir ce nouveau disque de Françoiz Breut, le terme qui nous viendrait tout de suite à l’esprit serait « ludique », car non seulement la musique semble être une construction malicieuse et ironique mais les mots de Françoiz Breut paraissent affranchis et libérés s’amusant aussi bien sur la rythmique d’une prosodie que sur le sens propre de ce qu’elle souhaite nous suggérer.
Côté influence, comme elle le dit dans l’entretien qu’elle nous a accordé (à lire prochainement), elle a été très marquée (comme ses complices) par Broken Politics (2018), le disque de Neneh Cherry produit par Four Tet mais aussi par les travaux plus anciens de Laurie Anderson. Généreuse dans son approche, Françoiz Breut n’hésite pas à laisser le premier rôle à des invités comme le tunisien Jawhar sur le superbe La Fissure. On insistera sur la troublante proximité vocale entre Jawhar et Bertand Belin. Il se dégage de ce disque comme une forme d’indolence, peut-être même de nonchalance, comme une mise à distance. les mots sont parfois durs à l’image de ces images hallucinées de routes encombrés de migrants sur Juste de Passage qui peut rappeler dans sa thématique Le Convoi de Dominique A. Ce n’est pas étonnant de voir Françoiz Breut créer des images qui vivent par elles-mêmes sans nécessaire explication, c’est peut-être là qu’il faut trouver la possible passerelle entre ses activités d’illustratrice et ses créations musicales. Elle qui s’appuie sur son interprétation de deux tableaux pour écrire des textes superbes et étranges. Cette vision d’une noyée dans Ophelia, le tableau symboliste de John Everett Millais ou encore La Chute Des Damnés de Rubens.
Le disque, éminemment moderne, fait la nique aux espace-temps et aux sphères bien datées. Prenez Dérive Urbaine Dans La Ville Cannibale et ses effluves sixties. On pensera parfois (fortuitement) aux suédois de Koop et plus particulièrement à leur collaboration avec Ane Brun sur Koop Islands (2006) pour ce même jeu avec les limites du Kitsch et de la candeur. Malgré ce sourire mélodique, il faudra entendre cette amertume laissée volontairement en arrière-plan, cette peur que l’on ressent face au vide et l’inconnu. Prenant le contre-pied de ses disques précédents, Françoiz Breut n’est jamais dans une réaction de rejet de ce qu’elle a déjà accompli mais peut-être plus dans une vision sans cesse changeante, dans une expérience sans cesse renouvelée.
Le disque, éminemment moderne, l’est peut-être car il ne souhaite pas l’être. C’est peut-être plus un album photos que nous décrit d’album en album Françoiz Breut. Mais qu’est-ce qu’une photographie ? Peut-être un troublant mélange d’instant figé et de mouvement plongé dans une éternité. L’assurance d’une jeunesse perpétuelle pour les êtres, les paysages et les sentiments qui habitent les décors. Les chansons de Françoiz Breut sont comme des mouvements vitaux qui refusent l’immobilité car s’arrêter c’est se dessécher et mourir, faner et se disperser. Dans cette dilatation des frontières entre sensualité, invisible et réalité, on pourra tirer un trait comme un lien avec les disques d’Hector Zazou, ceux de Bjork ou d’Anja Garbarek.
Flux Flou De La Foule, le septième album de Françoiz Breut, est un voyage étrange, parfois déroutant mais toujours passionnant dans un espace-temps où le flux peut être un silence, où le désespoir peut sourire, où la peur peut nous faire rire. Flux Flou De La Foule est un disque de paradoxes, le propre de ces œuvres auxquelles on reviendra souvent pour mieux se comprendre.
Greg Bod