L’art peut sauver, et dans le cas de Magali Le Huche, ce n’est pas là une affirmation à prendre à la légère. Son beau livre autobiographique, Nowhere Girl, raconte son périple personnel, et le rôle que les Beatles ont joué dans sa vie.
Nous, fans de rock, avons l’habitude de répéter, en riant à moitié, la fameuse phrase de Lou Reed, dans sa chanson Rock’n’Roll : « Her Life was saved by Rock’n’Roll ». Et si c’est parfois vrai pour certains d’entre nous, en particulier ceux qui sont devenus musiciens pour ne pas se transformer en criminels, ou, plus couramment sans doute, pour ceux que la musique a sauvé du désespoir et de l’ennui d’une vie grise, c’est absolument véridique pour Magali Le Huche, que les Beatles ont – sans le savoir – aidé à survivre à une crise dramatique qui a menacé son équilibre mental alors qu’elle n’avait que 11 ans.
Nowhere Girl, titre qui est une jolie référence non seulement à la célébrissime chanson des Fab Four, mais caractérise parfaitement aussi l’effondrement psychologique de Magali, littéralement asphyxiée par sa peur de ne pas « être au niveau » attendu alors qu’elle rentre en sixième, ne doit pas être abordé comme une sorte d’alternative aux Cahiers d’Esther de Sattouf : même si le charmant graphisme de Magali Le Huche, et les couleurs psychédéliques illustrant la musique des Beatles ou encore le rose qui est la seule couleur permanente du livre, suggèrent fantaisie et légèreté, Nowhere Girl n’a rien de drôle. Il est profondément pétri d’angoisses, de tourments, et il traduit avec une douleur permanente la perte de repères de la narratrice, ce qui n’en rend pas la lecture aisée, en dépit de la fluidité de la narration, et de l’énergie qui s’en dégage, même lorsque le personnage est au plus mal.
On saisit combien la création de ce livre, le fait de livrer au public le récit d’une histoire personnelle aussi difficile, a été importante pour l’autrice, et même peut-être combien Nowhere Girl participe au travail d’analyse qu’elle a dû effectuer pour sortir – littéralement – du gouffre où elle était tombée : la conclusion, qui esquisse une demi-plaisanterie finale, montre que la guérison de Magali n’est sans doute jamais totalement acquise, que l’abîme la guette sans doute toujours.
Plus forts que Jésus, qui avait été un choix précédent pour cette petite fille cherchant de l’aide pour affronter le monde qui la terrifiait, les Beatles – à travers leur musique, bien entendu, mais tout autant grâce à leur simple existence dans la vie de Magali – ont été un repère, un espoir, une lumière permanente qui a gardé l’obscurité à distance. Et qui a permis à Magali, sans complètement guérir, on l’a vu, de pouvoir vivre normalement, et en particulier d’établir des relations sociales. Ils ont également servi, on le comprend, de catalyseur à la créativité de la petite fille, qui a pu choisir une carrière d’artiste et finalement exister en tant que telle : Magali Le Huche est aujourd’hui autrice–illustratrice à succès dans la littérature pour la jeunesse. Gageons que son œuvre aidera à son tour d’autres petites filles qui, comme elle, ont du mal à trouver leur place…
« Ma vie a été sauvée par la BD », ça sonne pas mal non plus…
Eric Debarnot