On attendait Night in Paradise, le nouveau film de Park Hoon-Jung avec une certaine impatience, et ce d’autant que son scénario louchant sur les thèmes d’un Kitano pouvait laisser espérer le meilleur… Ne reste finalement qu’un polar manquant de la profondeur nécessaire pour réellement convaincre.
Scénariste remarqué dès ses débuts avec J’ai rencontré le diable, Park Hoon-Jung est rapidement passé à la réalisation de ses propres scénarios, et on avait particulièrement aimé son New World, en 2013, qui alliait une grande élégance formelle avec une véritable singularité, qui mettait quand même un peu de temps à se révéler derrière les codes classiques du néo-polar coréen. Et finalement, le sentiment que laisse Night In Paradise, son dernier film présenté à la Mostra de Venise l’année dernière et, comme des centaines d’autres, privé d’une sortie en salle, n’est pas si différent : du talent, il y en a incontestablement ici, mais le résultat à l’écran est en deçà de ce que l’on peut espérer.
Le script de Park Hoon-Jung semble cette fois loucher plus vers un Takeshi Kitano que vers les nouveaux classiques du cinéma du pays du matin calme : nous suivons Tae-Gu, jeune membre respecté par tous d’un gang dont la suprématie est remise en question, largement à cause de la faiblesse de son boss Yang. Lorsque la guerre entre factions rivales cause la mort de sa demi-sœur et de sa nièce, Tae-Gu décide de faire justice lui-même, et doit ensuite fuir et se réfugier dans l’île de Jeju, où son destin finira par le rattraper. Comme chez Kitano, donc, Night In Paradise fonctionne sur une alternance de moments contemplatifs et de brefs pics de violence brutale… jusqu’à retrouver pleinement sa « culture coréenne » dans un double final paroxystique et ultra-sanglant. Porté par un bel acteur charismatique, Um Tae-Goo, le film a a priori tout pour lui : une trajectoire tragique de ses personnages que rien ne pourra faire dévier, une vision très noire et sans manichéisme de l’humanité, un scénario plutôt intelligent qui refuse à ses personnages et au spectateur la facilité de l’histoire d’amour que l’on redoute un moment, une mise en scène mesurée qui sait jouer avec le rythme et avec la distance…
Et pourtant, il est impossible de dire finalement ce que l’on retiendra de Night in Paradise, le film semblant trop long (deux heures dix alors que son scénario assez simple ne justifiait pas plus de 1h45) mais surtout trop… vide. Car là où Kitano savait à sa grande époque sublimer l’insignifiance humaine soit en faisant naître l’émotion, soit en apportant une véritable profondeur métaphysique aux petits riens de l’existence, chez Park Hoon-Jung, les « petits riens » restent des « petits riens ». Et le vide reste le vide. Il n’y a qu’à comparer le suicide final sur la plage avec la scène quasiment identique de Hana-Bi pour réaliser le gouffre qui sépare un immense metteur en scène comme l’était alors Kitano et la simple habileté d’un faiseur qui semble plus « faire ses gammes » que mettre toute son âme et tout son cœur à « faire du Cinéma ».
Malgré ses limites, il faut toutefois admettre que Night In Paradise est un divertissement réussi, pour qui est sensible à l’élégance formelle et au radicalisme du polar asiatique contemporain. Et que l’on passera plus que probablement un excellent moment devant le film de Park Hoon-Jung, même s’il est désormais peu probable que ce dernier puisse rejoindre un jour les rangs des grands réalisateurs coréens.
Eric Debarnot