Belle surprise que le nouvel album de Dinosaur Jr, qui malgré – ou à cause de – la pandémie et les difficultés d’enregistrer « en groupe » et non pas « en distanciel » atteint une indéniable sérénité. Et du coup, semblera formidablement accueillant, avec son élégance mélodique et ses guitares saturées.
« I ain’t good alone / Can’t quite face it / Wish you’d bring me home » (Je ne suis pas bien seul / Je ne peux pas vraiment y faire face / J’aimerais que tu me ramènes à la maison). Les premières phrases de I Ain’t qui ouvrent le nouvel album de Dinosaur Jr – leur douzième et déjà le cinquième à voir le jour depuis la reformation de la « cellule Mascis + Barlow » en 2005 – nous disent tout ce qu’il y réellement à savoir sur Sweep It Into Space : si Jay Mascis n’est pas devenu d’un seul coup un type suractif et positif – il ne faut pas rêver… ou cauchemarder -, on peut dire que les choses se sont clarifiées dans sa tête depuis les débuts brillants mais émotionnellement difficiles du groupe. Face à la pandémie qui a rendu l’enregistrement erratique de cet album, débuté en 2019, mais peut-être aussi grâce à l’arrivée d’une certaine stabilité avec l’âge, Mascis et Barlow semblent avoir gagné une indéniable clarté quant à ce qu’ils veulent de la Vie, de la Musique. Il s’agit avant tout – et même si c’est là une banalité en cette époque de remise en question – de retourner à une certaine humanité, voire simplicité : la maison, l’amitié, la famille, le jardin… pas très rock’n’roll peut-être, mais quoi d’autre ? Et même si l’on peut sourire devant cette démarche « de vieux… », on ne peut nier que cette clarification des choses fait un bien fou à la musique de Dinosaur Jr.
Car Sweep It Into Space est probablement le disque le plus accueillant, le plus mélodieux, le plus « pop » presque de toute leur carrière ! On a même du mal à imaginer un truc aussi catchy et bizarre que Take It Back sous le nom de Dinosaur Jr… Ou un titre aussi… folk et… gracieux, presque… anglais (!) que Garden (dû à Lou Barlow, comme d’ailleurs la très belle conclusion du disque, You Wonder…) dans l’un des précédents albums ! Ce qui ne veut pas dire, rassurez-vous, que les guitares bruyantes sont délaissées pour autant, et on peut même imaginer que, une fois que nous pourrons retourner voir le groupe sur scène, nos oreilles saigneront comme « à la grande époque » ! Fondamentalement, les fans d’avant ne seront pas désorientés : quelques bons vieux riffs saignants (I Met the Stones, ou encore Walking to You), de la saturation et de l’électricité à gogo, des solos de guitare qui déchirent sans difficulté le voile général de bonhommie, et puis ce chant d’une paresse réjouissante, qui fait de Mascis le parrain de tous les slackers de la musique (d’ailleurs l’ami Kurt Vile, pas le plus agressif des musiciens, a mis la main à la pâte pour produire certains morceaux !). Bon, attention, Dinosaur Jr est parfaitement capable d’accélérer de temps en temps, comme sur I Expect It Always ou sur N Say !
« I gave it everything I got / I tried to stop you, I could not / I’m here to tell you that’s a lot » (J’ai tout donné / j’ai essayé de t’arrêter, je n’y suis pas arrivé / je suis là pour te dire que c’est déjà beaucoup…) : sur I Met the Stones, Mascis nous rassure : tenter de faire de son mieux, c’est déjà ça… Une forme de lucidité et d’honnêteté en même temps. Si ça donne des albums de la classe de ce Sweep It Into Space, on est tout-à-fait d’accord avec lui, et on va même continuer de suivre Dinosaur Jr pendant longtemps encore.
Eric Debarnot