Si l’on prétend aimer la Terre, il nous faudra bien protéger la « terre ». La terre sous nos pieds, cette « invisible », mérite mieux que notre ignorance. Mathieu Burniat réussit à nous sensibiliser, sans nous ennuyer, sur un sujet d’importance.
Il s’en passe des choses, sous terre ! Cette terre sous nos pieds que nous ne voyons pas et dont nous avons du mal à réaliser l’importance, un élément pourtant aussi indispensable à la vie que l’air, l’eau et le feu. Mathieu Burniat nous propose une découverte ludique de ce monde mystérieux, un monde lui aussi menacé par nos modes de vie.
Après Le Mystère du monde quantique, Mathieu Burniat signe avec Sous Terre sa deuxième docu-BD dans le domaine scientifique. On avait pu constater son talent pour vulgariser des concepts plutôt obscurs pour le lecteur lambda. Force est de reconnaître que Burniat s’en sort haut la main dans cet exercice, parvenant à produire ici quelque chose de hautement original, avec la bénédiction du Muséum national d’histoire naturelle.
Accessible à tous publics, cet ouvrage nous immerge immédiatement grâce au mode narratif choisi, celui de l’aventure. Hadès, qui a lancé une invitation aux humains pour participer à une sorte de jeu de piste, promet au vainqueur de prendre sa place lorsqu’il découvrira la « corne d’abondance ». Et les candidats au poste seront très nombreux… En réalité, le dieu des enfers va utiliser leur cupidité et leur soif de pouvoir pour se venger des désordres commis en son royaume, conséquence de l’activité humaine. Et il s’est juré de leur faire vivre… l’enfer ! En se mettant dans les pas de cette fillette qui va répondre à l’invitation pour demander à Hadès de ramener son chien mort tragiquement, le lecteur, ramené dans la position du candide, va pénétrer dans les entrailles de la Terre, un univers aussi méconnu que fascinant, dans un voyage plein de surprises et de rebondissements…
Dans sa ligne claire toute en rondeur, Mathieu Burniat nous révèle ces souterrains obscurs en y insufflant des couleurs chatoyantes, renforçant l’aspect ludique de son exposé didactique. A ce titre, la très belle couverture est on ne peut plus parlante et suggère un royaume souterrain coloré et aux richesses infinies, méconnu même des scientifiques qui « ignorent le nom de plus de 99% des êtres qui s’y trouvent et la manière dont ils vivent ». L’auteur réussit la gageure de ne jamais nous ennuyer grâce à une narration enlevée. On appréciera les clins d’œil au cinéma fantastique, notamment au film de Richard Fleischer, Le Voyage fantastique. Pour leur permettre d’avoir une meilleure vision de cet univers étrange, les protagonistes voient leur taille constamment modifiée, parfois à des dimensions microscopiques. Les créatures invisibles à l’œil nu deviennent des monstres dignes de Voyage au centre de la Terre. On frissonnera de voir Suzanne et son nouveau compagnon Tom aux prises avec des taupes géantes, des « pseudoscorpions » à taille humaine ou encore des acariens tueurs gros comme des ballons de foot. On s’esclaffera de voir nos aventuriers dialoguer avec des bactéries et on s’émerveillera de ce « métrover », moitié lombric moitié métro, se frayant un chemin dans les profondeurs du sol. Jusqu’à la conclusion du livre, autre référence particulièrement bien sentie aux zombies.
Sous Terre, c’est un peu comme une fête foraine où l’on ressort tourneboulé mais aussi enrichi d’une connaissance qui nous aurait paru négligeable avant cette lecture. La terre, ce n’est pas juste de la terre, ce n’est pas juste cette matière inerte de couleur brune ou noire, amas charbonneux saturé de microbes servant seulement à salir nos beaux habits. On réalise au contraire que notre sous-sol est un vaste microcosme où le vivant prospère dans une parfaite symbiose, dans l’ombre du mépris des hommes qui pourraient pourtant s’inspirer de cette formidable machine à recycler.
Ce monde qui grouille de vie, certes pas toujours très ragoûtant, Mathieu Burniat s’emploie à le nous le rendre familier, le présentant comme un élément qui mérite le plus grand respect car indispensable à la survie des générations futures. Et à travers la référence à la mythologie, il pointe du doigt nos tares et notre comportement anthropocentriste, non sans espièglerie. L’homme peut-il se persuader, sans une bonne dose de mauvais foi, que la planète est exploitable à l’infini et que son génie suffira pour pallier les problèmes environnementaux qui ne font que s’accentuer avec les années. Notre arrogance a provoqué la colère de Hadès, à juste titre, car au fond, il est plutôt sympa le dieu des enfers.
Laurent Proudhon