Avec son nouvel album, le trio de Montréal, Big | Brave, distille une musique addictive, profonde, existentielle. Répétitive sans être lassante. Lente sans être immobile. En fusion. Cataclysmique. Tendue, en équilibre au dessus du vide.
En 2012, Big I Brave, un groupe de Montréal (Canada), s’est installé sur le territoire relativement étroit d’un doom très minimaliste et a réussi à lui donner, à force de l’explorer et de le creuser, une profondeur abyssale. Ce 5e album, Vital, en fait encore la preuve. A partir d’une base simple et de constantes, maîtrisées à la perfection, le groupe réussit à créer une musique riche, puissante, forte, non seulement par le volume des instruments mais aussi par les émotions qu’elle contient, les tensions qu’elle révèle, les révélations sur l’âme auxquelles elle conduit. La musique de Big I Brave ne passe pas que par les oreilles, elles se ressent physiquement. Elle s’écoute avec les tripes, avec le coeur.
Les piliers de leur univers
Parmi les éléments qui reviennent sans cesse chez Big I Brave, ceux qu’ils utilisent pour construire leur univers – et déconstruire le notre – il y a d’abord la batterie. Un tambour de garde-chiourme, pas celui qui conduit la galère à l’attaque dans un combat mais celui qui guide dans le brouillard, lentement, très lentement. Du doom, en effet. Un rythme chamanique et hypnotique, complété par les guitares – autre constante chez Big I Brave. Des guitares lourdes et acérées comme un barbelé qui martèlent exactement le même rythme lent et grave, et lourd que la batterie. Qui, d’une certaine façon contrastent, avec la voix qui est une longue lamentation, aigüe et déchirante, un cri mais qui donne l’impression qu’il est retenu, empêché, qu’il lutte pour sortir. Ce qui est effectivement le cas. Les plaintes que Robin Wattie expriment sortent directement de sa vie et de son histoire, de ses tripes, de la violence du monde – Half-Breed n’est pas un titre choisi au hasard ! Et puis les silences avec lesquels le groupe joue admirablement, ménageant des suspensions, pas des pauses, à certains moments. Quand ces silences arrivent, on a l’impression que quelque chose s’arrête tout en se demandant quand cela va reprendre parce que le morceau ne pouvait pas se terminer là. Même les silences servent au groupe à accentuer la tension.
40 minutes de fusion
Les sept premières minutes de l’album – le premier titre, Abatting the Incarnation of Matter – donnent le ton, parfaitement représentatives de l’intensité hypnotique de l’album. Menée par une voix angoissée et angoissante, batterie et guitares accompagnent une procession incandescente qui se traîne, se traîne et s’épuise dans le fondu enchaîné vers Half-Breed, qui commence par des guitares qui grincent, des bruits de chaînes, de cadavres que l’on déterre ou que l’on enterre plutôt (voir le clip). Le morceau est tout en contrôle, une énergie qui ne veut pas et ne peut pas se libérer. La tension monte, le morceau devient incantatoire, Robin Wattie répète « The pattern for the history of half-breeds hidden in every culture », tirée de How to Write an Autobiographical Novel, d’Alexander Chee. Et c’est sur le même mode – plainte, lamentation, voix sur une fond de musique nocturne très sourd – que se passent les 4 minutes 22 de Wited. Still and All…, la courte respiration que constitue le troisième titre de l’album. Avant les deux fois 9 minutes des deux derniers morceaux Of this ilk et Vital, 18 minutes ou presque de lave en fusion. Il y a bien quelques moments de calme et de silence mais les dernière minutes de Vital sont époustouflantes de noirceur, de guitares distordues.
L’atmosphère qui en résulte est évidemment sombre, presque désespérée. Une tristesse profonde, existentielle, qui touche aux racines de la vie. C’est ce qui fait aussi que cet album—la musique de BIB en général—est addictive. Tout est répétitif, rien n’est lassant. Tout est lent, mais pas immobile. Tout est tendu, mais en équilibre au dessus du vide.
Alain Marciano