Plier bagage, de Daniel Saldaña Paris, est un roman où tout va mal, du début à la fin, un roman dur et amer, mais captivant, plein d’un suspense existentiel. Un livre émouvant qui nous donne une vraie leçon de vie.
Autant le dire tout de suite, Plier bagage ne finit pas bien. Même si la narration peut laisser penser que s’ouvrira, à un moment où à un autre, une porte vers la lumière, cela n’arrive pas. D’ailleurs, le livre ne commence pas bien non plus et l’histoire est, finalement, très noire, très amère. Comme un anti-dépresseur qu’on aura trop sucé au lieu de le gober d’un coup sec. Comme un bonbon rose et sucré mais qui est fourré à l’encre de seiche. Oui, l’histoire que raconte Daniel Saldana Paris dans Plier bagage est noire et amère. Elle se déguste – parce que le roman est captivant, bien écrit, plein de suspense, de coins et de recoins que l’on a envie de fouiller – mais, au final, elle laisse un mauvais goût dans la bouche. Ce goût, c’est le goût de ces traumatismes de l’enfance que l’on ne peut éviter mais avec lesquels on est bien obligé de composer pendant le reste de son existence. Et peut-être essayer d’en comprendre les mécanismes. Comme le fait le narrateur de Plier bagage en nous les racontant.
Tout commence avec la mère. Elle déclenche tout. En tout cas, celle avec qui s’ouvre le roman. Cette mère, que le narrateur appelle quasiment systématiquement Teresa. Cette mère qu’il adore mais qui préfère sa sœur aînée et qui préfère aussi ses luttes pour la justice à la vie dure, étriquée et bourgeoise que lui impose son mari. Cette mère qui un beau mardi de l’été 1994 qui quitte sa famille. Cela semble assez vite évident sauf au narrateur qui va chercher à percer le mystère et à la retrouver. Une double quête impossible, quand on a dix ans, qu’on est trop jeune pour comprendre les sentiments des adultes, qu’on n’est jamais sorti du quartier dans lequel on habite et que personne ne vous aide vraiment – trop enfermé dans ses propres traumatismes et ses propres quêtes. Pas son père dont on ne sait pas trop s’il est lâche ou fourbe ou les deux mais dont on se rend vite compte qu’il ne sait pas vraiment s’y prendre avec ses enfants, qu’il a un sens bancal de l’éducation et qu’il ne partage rien… Pas sa sœur ou ses amies et amis—adolescents à peine plus âgés mais suffisamment pour que le gouffre qui les sépare soit impossible à combler. Pas ses camarades d’école, non plus, qui ne sont aussi que des lâches qui l’abandonneront au pire moment avec la cruauté que les enfants de cet âge manifestent.
Les deux seuls Samaritains que notre narrateur rencontre et qui essaieront (un peu) de l’aider vont aussi échouer. Il faut dire qu’il ne se lie pas facilement, cet enfant de 10 ans abandonné de tous. Les tentatives qu’il fait pour se rapprocher des amies de sa sœur, de son père et même de cette mère qu’il adore échouent tant elles sont maladroites. Car, au fond, ce ne sont pas vraiment les autres qui l’intéressent. Avant tout, il veut comprendre, trouver du sens et des solutions, et ordonner. Il voudrait que la vie soit parfaitement symétrique, comme les nervures des feuilles qu’il plie et garde dans ses poches. Il voudrait que la vie soit une machine que l’on monte et démonte et qu’on peut réparer. Il voudrait que la vie soit un origami, que l’on puisse trouver les bonnes pliures et fabriquer quelque chose de beau et symétrique. Mais la vie n’est pas une machine. Ou plutôt, elle est une machine qui marche mal. La vie a un sens qu’on ne trouve pas. La vie est un origami raté, un de ceux que le narrateur s’obstine à rater, systématiquement. Le papier a été trop plié, déplié et replié, les plis ne sont pas nets et ils ne ressemblent à rien. Comprendre, essayer de démonter la machine, retrouver l’enchaînement des faits est vain. Comme le raconte Daniel Saldaña Paris avec sensibilité et émotion, avec dureté et justesse.
Alain Marciano