Nous l’attendions avec impatience ce nouvel album du duo Pandolfo-Risbjerg ! Si la magie est toujours présente, Le Don de Rachel, avec une première partie captivante et une seconde plus superficielle, laisse toutefois une impression en demi-teinte…
Paris, 1848. Rachel possède un don extralucide, celui de lire le passé et l’avenir à travers les gens et les choses. La jeune voyante, qui pense qu’un tel don est à la portée de tous, aimerait transmettre ses connaissances, mais va se rendre compte que l’époque n’est pas prête et disparaîtra corps et âme… Pourtant, plus d’un siècle plus tard, Rachel va ressurgir aux côtés de Liv et Victoria, l’une à Copenhague, l’autre à Londres. Une mystérieuse correspondance va alors s’établir entre les trois femmes…
Comme elle le fait savoir en postface, la scénariste Anne-Caroline Pandolfo s’est inspirée d’un fait étonnant survenu pendant la conception d’un chapitre de l’album, où la chorégraphe Liv Nexø veut rendre hommage à Rachel Archer en créant un spectacle pour le prestigieux Théâtre royal de Copenhague. Le chapitre à peine imaginé, le duo d’auteurs a reçu une invitation de la part du même théâtre pour assister à un ballet inspiré du portrait de Karen Blixen, une autre BD qu’ils avaient réalisée ensemble. Une histoire incroyable, alors que l’album sur lequel ils travaillaient avaient justement pour thème ces connexions mystérieuses du monde invisible, hors de portée de la science et de la raison.
Et c’est bien cela qu’on apprécie chez le duo franco-danois, et qui fait sans doute le charme de leur œuvres, cette manière bien à eux de faire ressortir avec subtilité le mystère derrière les apparences de notre monde terre-à-terre. Avec ce ouvrage, ils vont raconter le parcours de Rachel Archer, un personnage fictif et romanesque dans le Paris du XIXe siècle. Cette jeune femme voyante va connaître un destin à la fois extraordinaire et tragique. Sa capacité à deviner l’avenir et à débusquer les choses dissimulées va lui ouvrir les portes de la célébrité, attirant la curiosité des grands de ce monde et autres têtes couronnées. Mais cette gloire, dont elle n’a que faire, comporte un revers : celui de ne jamais être entendue pour ses propres convictions. Rachel pense qu’un tel don est accessible à tout le monde par une stimulation de l’imagination, mais les gens qu’elle croise ne veulent rien savoir d’elle, bien au contraire. Tout ce qui les intéresse, c’est de prendre du bon temps et s’amuser comme les enfants au spectacle.
Lassée d’être vue comme une bête de foire ou une sorcière, Rachel va sentir la lassitude de la vie la gagner peu à peu. Désemparé, son ami et amant ne pourra l’empêcher de franchir les portes vers l’autre monde… Un siècle plus tard, à Copenhague en 1980, une chorégraphe monte un ballet en l’honneur de Rachel, sur la base des écrits qu’elle a laissé derrière elle… Puis à Londres de nos jours, une jeune photographe, fascinée depuis longtemps par la voyante représentée sur un daguerréotype dont elle a hérité, va elle-même chercher à rencontrer la chorégraphe danoise, dont le nouveau spectacle est joué dans la capitale anglaise.
Objectivement, c’est une belle histoire que nous narre Anne-Caroline Pandolfo, en collaboration avec Terkel Risbjerg, dont le dessin sait insuffler toute sa grâce pour représenter les envolées oniriques de Rachel Archer ou les ballets de Liv Nexø. Une histoire qui, en s’inspirant du roman de Virginia Woolf, Les Heures, pour établir des correspondances mystérieuses entre trois femmes à des époques différentes, touchera à coup sûr par sa sensibilité et son altruisme.
Malgré cela, l’auteur de ces lignes doit avouer qu’il est resté sur sa faim. Si la première partie du Don de Rachel est réellement captivante, le reste du livre a tendance à ronronner sans réelles surprises, avec une fin un brin téléphonée. C’est peu dire qu’au regard des précédentes productions des auteurs, on s’attendait à quelque chose de plus marquant, disons de moins « gentillet ». Les auteurs nous avaient habitués à cette noirceur qui caractérisait leur récit et par contraste faisait ressortir avec encore plus d’éclat la splendeur intrinsèque.
Depuis mon coup de foudre sur Le Roi des scarabées, j’estime énormément ce duo d’auteurs talentueux. Mais encore une fois, ce one-shot ne m’a pas comblé autant que je l’aurais souhaité, malgré tout le charme et la poésie qui en émanent. Métaphoriquement parlant, c’est un peu comme un mets dont on on raffole, mais auquel on aurait oublié d’y adjoindre les épices et le poivre. En conclusion, vivement leur prochain opus !
Laurent Proudhon