Après deux EP pleins d’émotion et des concerts très « Rock » et enthousiasmants, le premier album de girl in red surprend avec un virage « pop » et des visées « grand public ». Ce qui ne veut heureusement pas dire que Marie Ulven ait perdu son talent pour parler d’amour et de sexe sur des mélodies accrocheuses.
Depuis l’apparition en de Marie Ulven, musicienne norvégienne d’une vingtaine d’années ayant choisi le format « bedroom pop 80’s » pour exprimer son mal-être de jeune femme homosexuelle face à un XXIè siècle déroutant et au sein d’une société pas forcément très « aimable », girl in red est un « groupe » qui nous parle. Deux EPs que l’on a le droit de trouver magnifiques de grâce et d’obstination, des concerts survoltés, enthousiastes, gais, qui ont suscité un engouement croissant, depuis une première apparition parisienne à la Boule Noire en mai 2019 jusqu’à une Gaîté Lyrique littéralement en fusion en novembre, en passant par un set très remarqué à Rock en Seine… Et bien entendu, des milliers de followers sur les réseaux sociaux… et le titre « d’icône queer » décerné par un magazine américain ! On peut dire que Marie a touché son public en plein cœur, beaucoup d’ailleurs grâce à ses textes d’une franchie désarmante et son attitude très « cash », très directe, lui valant une sympathie immédiate. La sortie de ce premier album, if i could make it go quiet, qui aura donc bien « maturé » puisque – sans doute également faute à la pandémie – plus de deux ans ont passé depuis la découverte des premières chansons de girl in red, prend forcément l’allure d’un événement…
L’écoute de Serotonine, en ouverture, titre produit par le célèbre Finneas et qui porte clairement la marque de ce producteur, se révèle un choc : en exagérant un peu, on a envie de dire qu’on ne reconnaît pas grand-chose ici de ce que l’on connaissait de girl in red. Très « pop » contemporaine, avec même un passage « rappé », avec des effets sur la voix de Marie, avec un net retrait des instruments derrière l’électronique, la chanson témoigne d’un changement de style inattendu. De la même manière, le thème de la chanson, le déséquilibre mental – et la dépression en particulier – dénote une évolution que l’on pourra qualifier d’adulte par rapport aux textes précédents, tournant largement autour de la vie amoureuse et sexuelle de Marie, et de ses états d’âme et interrogations : « I’m running low on serotonin / Chemical imbalance got me twisting things / Stabilize with medicine / There’s no depth to these feelings / Dig deep, can’t hide / From the corners of my mind / I’m terrified of what’s inside » (Je manque de sérotonine / Le déséquilibre chimique me fait tordre les choses / Stabiliser avec des médicaments / Il n’y a pas de profondeur à ces sentiments / Il faut creuser plus profondément, je ne peux pas me cacher / Des recoins de mon esprit / Je suis terrifiée par ce qu’il y a à l’intérieur…).
Si les chansons suivantes sont légèrement moins « typées pop » – Finneas n’a produit que Serotonine ! -, elles poursuivent néanmoins dans le même ton. La mécanique du tube potentiel Did You Come? prouve heureusement que Marie n’a pas perdu, heureusement, son « tour de main » pour composer des morceaux auxquels il est difficile de résister… hornylovesickness, avec sa franchise sexuelle, et sa ritournelle accrocheuse qui s’effiloche intelligemment et devient stase, pourrait même devenir notre chanson préférée de girl in red…
https://youtu.be/Gh8Gl2GwB6s
Car ce que démontre if i could make it go quiet, c’est que, clairement, le songwriting et le chant de Marie ont gagné en puissance, comme en témoigne par exemple un impressionnant Body and Mind. Par contre, les fans de rock indie, soucieux d’une musique plus « humaine », plus intime, auront plus de mal ici à trouver leur plaisir : midnight love, tout en restant très électronique, retrouve, en exprimant des sentiments simples, presque banals, une émotion, une sincérité blessée qui prolonge directement le travail précédent de Marie Ulven : « I know I don’t want to / Be the one that you run to / When you got nowhere else to go / When you need some love / I know I’m the last one / You try to call but / I always give in / To give you it all » (Je sais que je ne veux pas / Être celle vers qui tu cours / Quand tu n’as nulle part où aller / Quand tu as besoin d’amour / Je sais que je suis la dernière / Que tu essaies d’appeler mais / je cède toujours / Pour tout te donner…).
De « purement rock », if i could make it go quiet n’a guère qu’une chanson, You Stupid Bitch, virulente (… pour Marie…) prise à partie d’une amoureuse réticente, qu’on imagine bien jouée sur scène avec l’intensité post-adolescente que déployait girl in red en live en 2019 : « Don’t bite your lip or grit your teeth / Just count to ten and try to breathe / You stupid bitch, can’t you see / The perfect one for you is me? » (Pas la peine de te mordre les lèvres ou de grincer des dents / Compte jusqu’à dix et essaie de respirer / Espèce de salope stupide, tu ne vois pas / Que la fille parfaite pour toi, c’est moi ?).
Plus on se rapproche de la fin de l’album, plus on retrouve derrière cette production « moderne » plaisante mais décalée par rapport aux états d’âme de Marie, ces purs petits moments d’émotion portés par des mélodies entraînantes que l’on aimait sur les EPs, comme sur le très réussi . (oui, la chanson s’appelle « point …final ? »…). La courte conclusion de l’album, instrumentale et comme en suspension, laisse entendre que Marie Ulven reste capable de légèreté, de subtilité… que rien n’est perdu : finalement peut-on vraiment en vouloir à girl in red d’avoir choisi de sortir un premier album EFFICACE ?
Attendons la suite pour juger de l’orientation que prendra cette musique, la manière dont brillera cette flamme ténue mais que nous chérissons, que nous ne voudrions pas voir si tôt éteinte.
Eric Debarnot