Comment un disque se construit-il ? Qu’est-ce qui vient nourrir la création ? Autant de questions que l’on avait envie de poser à Emil Svanängen de Loney Dear alors que son nouvel album, A Lantern And A Bell sort. Un disque empli de simplicité, de minimalisme et de douceur en trompe l’oeil. Emil Svanängen se raconte sans fard et avec beaucoup de modestie dans cette seconde partie de l’entretien qu’il nous a accordé.
(première partie de l’entretien)
Je crois bien que votre culture musicale est d’abord tournée autour du Jazz et de la musique classique. On en trouve d’ailleurs parfois des traces dans votre propre musique, je pourrai citer la référence évidente à l’Adagio D’Albinoni sur Harm/Slow dans Dear John. On a souvent parlé de Pop de Chambre comme on parle de musique de chambre. Qu’avez-vous conservé de cette culture classique et Jazz dans votre processus de composition ?
Emil Svanängen : Pour ce qui est du Classique, c’est un monde tout nouveau pour moi, je suis plus directement lié au Jazz et ce, depuis toujours. Pour ce qui est du Jazz, j’ai eu la chance de suivre une masterclass avec EST, le Esbjörn Svensson Trio, une grande influence pour moi. Ils nous expliquaient qu’ils n’avaient jamais de setlist pour leurs concerts, je me suis dit que c’est comme cela que devaient jouer des musiciens professionnels, je me suis dit que j’allais suivre leur exemple et ne pas être avoir de setlist pour stimuler la spontanéité. C’est assez peu commun que des musiciens n’aient pas de setlist. Se mettre dans cette situation c’est accepter de lâcher prise, de se laisser porter par le hasard et de faire confiance à ses amis musiciens.
Quand je fais un concert, je veux vivre au maximum le moment, avoir une setlist peut quelque part parasiter cette capacité à s’imprégner de l’ambiance du public. Cette manière très libre d’approcher la musique me vient de ma culture Jazz, je me considère d’ailleurs comme un musicien de jazz encore aujourd’hui plus que tout autre chose. Quand vous êtes un musicien de Jazz, vous jouez ce que le moment vous dicte, vous êtes dans un dialogue direct avec le public. Mettre de la spontanéité et de l’accident dans un concert, c’est donner l’impression au public qu’il peut se sentir concerné, que c’est la réalité et l’instant présent. On ne sait pas ce qui va se passer dans l’instant qui va suivre et c’est très impliquant pour les deux partis. J’ai ce souvenir d’une femme qui est venue nous voir en concert à Stockholm, on a discuté un peu tous les deux et je lui ai demandé ce qu’elle avait pensé du concert, j’adore la réponse qu’elle m’a donné « Je n’ai pas pu entendre ce que je voulais et pourtant je suis venue à neuf de vos concerts. » Je crois qu’elle ne savait pas vraiment ce qu’elle attendait d’un concert de Loney Dear et que pour des raisons incertaines, elle revenait et revenait à mes concerts pour y entendre quelque chose qu’elle ne pouvait nommer. (Rires)
Ce qui m’intéresse dans la musique classique, c’est cette envie de construire des structures et des mondes, quand je pense en termes de compositeur, je pense toujours aux partitions pour clavecin de Jean-Sébastien Bach. Ce que j’ai appris de la musique classique c’est que l’on peut utiliser le motif répété en lui donnant une personnalité différente à chaque fois par sa texture, par l’émotion que l’on cherche à en faire dégager. Je suis passionné par l’utilisation des motifs et la responsabilité que l’on doit prendre en compte quant à la vision de l’ensemble.
Je crois que ma passion pour la composition avec un PC s’est émoussée et que c’est le travail par le piano qui a pris le relais, le piano me permet d’aborder tellement de couleurs. Si je veux une ligne de basse, je l’obtiens sans problème et en même temps revenir à la composition au piano, c’est revenir à la composition dans son plus petit élément, c’est la dimension la plus ténue de l’orchestre. C’est quelque chose de tellement frugal. Je reste bien sûr toujours passionné de technologie, on ne se refait pas (Rires). Je suis de près les travaux de Black Midi. Ce sont des musiciens qui créent des mélodies surchargées de notes où il devient difficile de se repérer. De ce que j’ai entendu, ils utilisent la plupart du temps le son standard du piano, ils créent des compositions avec ce son en y intégrant des millions et des millions de sons. Ils créent cette musique de manière très technique, ils s’inspirent beaucoup de Stravinsky. Leur musique ressemble presqu’à un algorithme, ils partent d’un son absolument horrible et créent quelque chose d’époustouflant avec quelque chose qui vous fait croire qu’il n’y a finalement que deux mains face à un piano.
Si je vous dis qu’on ne sent pas chez vous une volonté de carrière mais plus une démarche libre de créateur, vous reconnaissez-vous dans cette description ?
Emil Svanängen : Effectivement, je ne m’inscris pas dans une démarche de carrière. Par contre, je considère la musique très sérieusement et je fais attention à ce que chaque décision que je prends est pour but de toujours améliorer mes compositions mais aussi de me sentir mieux face à la musique que j’écris car je crois que cela finira par payer si j’agis ainsi. Mais franchement, quelque part, je crois que je considère mon activité de musicien comme une carrière malgré tout car de tous les avantages que m’apporte cette vie, celui que j’aime le plus c’est que cela m’apporte l’opportunité de rencontrer des tas de personnes, j’adore collaborer avec des gens connus ou anonymes, peu importe.
Je crois que quelque part, je rêverai d’avoir une véritable reconnaissance publique car cela vous permet d’avoir plus de portes ouvertes pour d’autres collaborations. Je crois en ma musique et je crois qu’elle finira par trouver son public. Je ne réussis pas à réfléchir à long terme, à me projeter dans le futur, je vis dans l’instant de la composition. Je suis un peu mal à l’aise avec cette notion de carrière car je suis tellement concentré sur mon travail de musicien que je ne réussis pas à penser à autre chose. Pourtant, je sais que si je savais prêter plus attention à ma carrière, cela m’offrirait des possibilités qui me permettraient d’améliorer ma musique. C’est un peu un cercle vicieux en somme !
Considérez-vous la musique comme une forme de thérapie pour vous ?
Emil Svanängen : Oui c’est thérapeutique (Long silence)… Je crois que ressentir que vous faîtes quelque chose et que vous êtes bon dans quelque chose est nécessairement thérapeutique. Comme je le disais tout à l’heure, j’ai vécu des années difficiles avec de grands bouleversements dans ma vie avec des conflits avec des proches qui m’ont amené à devoir réfléchir sur moi et mon rapport aux autres. J’ai laissé ma musique au second plan car j’étais trop envahi par mon angoisse, j’ai dû me recentrer sur ma vie privée. Je l’ai vécu comme un conflit intérieur car je savais que pour me sentir mieux dans ma vie personnelle, je devais composer mais plus rien ne sortait.
Fort heureusement, ma vie s’est apaisée et j’ai compris après ces moments douloureux que plus jamais je ne laisserai de côté la musique et que même si je croyais sentir mon inspiration en panne, je me devais de continuer à explorer. Ecrire de la musique et des paroles me rend plus fort et plus heureux, peut-être une meilleure personne plus susceptible d’accepter le dialogue. Je crois que ce qui est thérapeutique pour le créateur le sera toujours pour celui qui l’écoute.
Au moment de Hall Music (2011), vous teniez des propos très durs sur votre discographie « Ce que j’ai fait jusqu’à présent, en termes de carrière, c’est juste du vent ». Vous faites preuve de beaucoup de dureté et d’exigence face à votre musique, considérez-vous toujours ne pas avoir fait d’album essentiel à vos yeux ? A quoi ressemblerait la chanson ultime selon vous ? Pensez-vous être un jour satisfait de votre musique ?
Emil Svanängen : Je crois que dans cette citation, je parlais de mes prestations scéniques même si je pense en partie cela de ma discographie. Je suis très fier des albums que j’ai faits avec Loney Dear, je pense sans modestie que c’est parfois de la bonne musique. Je crois que parfois la magie opère en concert quand on parvient à saisir l’ambiance des lieux et du public. Je ne me reconnais plus dans la personne qui disait cela, j’avais un tout autre entourage à l’époque. Je restais pas mal dans un vase clos entourés de musiciens et seulement de musiciens. Je ne m’étais pas encore ouvert aux autres arts, la peinture en particulier. Je crois que d’avoir choisi la voie de la simplicité dans ma composition en m’appuyant sur le piano et moins de voix me permet de transporter mon son ailleurs vers une plus large gamme d’interprétations.
« Pendant longtemps, j’ai eu beaucoup de mal à écrire mes textes… »
Tout semble très réfléchi sur A Lantern And A Bell, en particulier dans la dimension symbolique que l’on ressent dans l’écoute de l’album mais aussi dans la vision de la pochette. Pouvez-vous nous parler de cette pochette et du sens que vous y mettez ?
Emil Svanängen : C’est Emanuel Lundgren qui m’a proposé l’idée. Emanuel a été un élément clé de la création du disque. On avait plusieurs options au départ pour la pochette car on donne encore beaucoup d’importance à cette idée de la pochette. C’est vrai qu’avec le Cd et désormais le numérique, cela a perdu de sa pertinence mais pas pour moi, je lui donne une signification importante. Il y a quelque chose de la tradition, même si ce terme de tradition a pris des sens négatifs, je crois bien que la tradition c’est ce qui nous constitue en tant qu’humains. On voulait quelque chose de très sobre. Au départ, on avait une meilleure idée de pochette que celle que vous connaissez mais on savait que le service de communication de Real World le refuserait. On voulait mettre un rond noir avec, en son centre, les couleurs emblématiques du label. Cela aurait pu faire penser à un disque des Pet Shop Boys.
Je perçois le disque en noir et blanc et je crois que ce drapeau qui illustre la pochette n’est pas représentatif de la couleur de A Lantern And A Bell, cela lui donne une autre tonalité mais le drapeau lui-même est un signal de détresse maritime. Si vous êtes perdu en mer, vous dressez ce drapeau sur votre navire. Emanuel Lundgren a pris tous ces drapeaux sur son bateau et les a photographiés. Ce symbole de détresse avec le titre A Lantern And A Bell se répondent l’un et l’autre et s’éclairent, je trouve. J’avais envie à travers ce disque d’écrire des chansons et des paroles sur l’urgence de renouer le dialogue entre les gens, sur la transparence des sentiments. Ce disque est né de ces années difficiles dont je parlais plus tôt où je ne réussissais plus à communiquer avec les autres, où je restais seul avec moi à me complaire dans une autosuffisance. J’avais envie pour A Lantern And A Bell de rêver une vie où on n’aurait plus aucun secret pour quiconque, où tout serait ouvert.
Je me disais que j’avais envie de me montrer tel que j’étais dans cet instant, pas dans une démarche impudique ou exhibitionniste. Cela m’a apporté un tel champ de possibilités car sur mes premiers disques, mes paroles ne voulaient rien dire, je ne savais pas comment m’y prendre donc je faisais des choses un peu hermétiques pour noyer le poisson. C’étaient juste des mots que j’empilais les uns derrière les autres car je n’étais intéressé que par la musique. Le problème c’est que je voulais chanter et quand vous chantez, vous devez chanter des paroles. Maintenant, cela a complètement changé, j’ai compris la puissance que peuvent avoir des paroles, c’est quelque chose qui me passionne de plus en plus désormais. Pendant longtemps, j’ai eu beaucoup de mal à écrire mes textes, je n’y prenais aucun plaisir. Aujourd’hui je crois pouvoir dire que je maîtrise pleinement l’approche musicale, je sais que j’ai encore beaucoup à apprendre au niveau des paroles. Cela me force à être très précis dans mon écriture, cela implique beaucoup d’effort également. Quand les paroles sont finies, je considère un album comme accompli car j’ai fait le plus difficile pour moi.
Sur A Lantern And A Bell, vous avez travaillé avec Emanuel Lundgren et Tchad Blake. Emanuel dit de A Lantern And A Bell que c’est un album de rupture. Était-ce une démarche délibérée ou vous en êtes-vous rendu compte au fur et à mesure que l’album prenait forme ?
Emil Svanängen : J’ai travaillé très différemment de ce que j’ai l’habitude de faire. Tout est parti d’une demande de Real World qui m’a demandé de faire une session vidéo sur les réseaux sociaux. En gros, je posais mon téléphone portable à côté de mon piano et je jouais quelques titres. Au début, très honnêtement, j’ai trouvé l’idée absolument ridicule car Loney Dear, mon disque de 2017 était un disque très élaboré, très orchestré avec pleins d’arrangements, je l’avais enregistré exactement tel qu’il devait être et maintenant on me demandait de le jouer dans une version Lo-Fi. Je l’ai fait sans grande conviction et j’ai adoré (Rires). Cela m’a donné envie de poursuivre dans cette voie, d’enregistrer un disque dans les conditions du Live. Ces chansons ont grandi et mûri au fur et à mesure de mes recherches au piano. Oui c’est vrai que cet album est une étape cruciale pour moi, il est sorti de l’ombre. J’espère que l’on aura appris de ce disque pour rendre le prochain encore plus pertinent. J’en suis vraiment très fier.
« La Suède est un pays riche où la liberté individuelle est tellement respectée. »
Certains titres sur A Lantern And A Bell sont plus anciens, je pense en particulier à Trifles ou Go Easy on Me Now (Sirens + emergencies) que vous aviez même joué en Live. D’après ce que j’ai compris vous avez beaucoup travaillé sur une version qui a même été enregistrée avant de vous rendre compte qu’il y avait peut-être plus de magie dans la version démo. Pourquoi selon vous ?
Emil Svanängen : J’avais envie sur ce disque de vivre l’expérience du groupe en studio, je ne voulais perdre aucune opportunité qui aurait permis aux chansons d’évoluer, des propositions d’idées de la part des autres musiciens par exemple alors qu’avant j’étais dans une démarche très autarcique, un peu control freak. Ce que je retiens de ce disque pour la suite de ma discographie, c’est qu’il ne faut pas trop intellectualiser la musique, pas trop la retravailler. C’est vrai que l’on est souvent revenu aux démos car elles conservaient cette fraicheur et cette innocence qui correspondaient mieux à ce que je voulais faire passer.
A Lantern And A Bell contient selon moi deux chansons éminemment politiques, je pense à Habibi et Oppenheimer. Vous pouvez nous en parler ?
Emil Svanängen : Je ne crois pas qu’Oppenheimer soit en soi une chanson politique car on est tous d’accord pour reconnaître l’horreur des armes atomiques. Je la comprends plus comme une chanson un peu mystique. Je ne suis pas quelqu’un de croyant mais je suis passionné par la foi. Je ne sais pas par exemple si Nick Cave est un croyant ou si c’est une pose. Je crois surtout qu’il aime jouer avec les références qui constituent son univers étrange. J’adore entendre des références bibliques citées par quelqu’un qui ne croit pas. Quand on a sorti Habibi, j’ai eu ce commentaire d’une personne qui avait regardé la vidéo sur Youtube qui m’a beaucoup marqué. La personne me demandait « Vous avez grandi dans la richesse non ? ». Je trouvais cette remarque intéressante car bien sûr j’ai grandi dans un pays développé, j’ai toujours eu un toit, j’ai profité d’une éducation universitaire, je pouvais acheter des livres, des disques, avoir accès facilement à tout ce que je voulais. Définitivement, j’étais riche pas dans le sens de plein aux as (Rires) mais comme un suédois moyen ou un européen moyen. La Suède est un pays riche où la liberté individuelle est tellement respectée.
Dans un sens, je trouvais que la personne avait raison dans son commentaire mais cela m’a toujours dérangé de voir les gens de droite faire avancer l’économie dans le seul intérêt des gens riches au détriment des plus pauvres. Je comprends parfaitement pourquoi des gens pauvres souhaitent changer leur avenir en venant en Europe, je crois que l’on se doit d’accueillir les migrants en Europe, on le leur doit. Je suis bien sûr conscient que cela peut avoir des conséquences pour la vie des gens, je comprends bien aussi qu’il y a des soucis d’intégration mais je ne supporte pas de voir de cadavres d’enfants sur des plages de la Méditerranée.
Je ne comprends pas que l’on n’aide pas des gens qui traversent des frontières au risque de leur vie. Je ne comprends pas comment on peut penser que l’on peut déplacer des franges de population d’un endroit à un autre sans que cela entraîne de graves problèmes sociaux. Il faut accompagner ces mouvements, je crois qu’il y a plus de sens à accueillir des gens dans des tentes en Suède que dans des ruines en Syrie. Je reste écœuré par l’idée qu’un nouveau-né en Europe a plus de chance d’avoir une vie paisible qu’un enfant syrien. Cet enfant n’a que le droit de se noyer dans la Méditerranée. En Suède, on a un parti social- démocrate qui propose une alternative intéressante en essayant de réunir droite et gauche, il propose une voie du milieu avec une politique plutôt modérée et je trouve que côté migrants, ils font plutôt du bon boulot.
Dans Interval / Repeat, vous évoquez le fait de vivre au quotidien les bombardements dans une ville comme Alep, les bouleversements que cela entraîne. En parallèle, j’ai lu que vous considériez cette chanson comme une composition pas totalement finie. Vous pouvez nous expliquer ?
Emil Svanängen : Je crois que c’est d’abord lié au fait que l’on voulait dans un premier temps enregistrer cette chanson dans une version très différente. J’avais un motif musical basé sur la répétition (il joue les notes au piano), juste 3 notes qui ne sont plus dans la chanson finale. C’était au départ la structure de la composition, c’est étrange comment cette chanson a évolué car ces 3 notes réhaussaient totalement la mélodie. La graine qui a fait pousser cette chanson n’existe plus. J’avais aussi écrit des arrangements beaucoup plus classiques qui ne sont pas sur la version que vous connaissez. J’aimerai que ces choses que l’on a laissées puissent être employées et entendues. Interval/Repeat est une de mes chansons préférées du disque car elle a cette promesse en elle de ne pas être figée, d’être en perpétuel mouvement.
Vous avez souvent été comparé à Sufjan Stevens pour la qualité de vos arrangements mais j’aimerai évoquer cette capacité que vous avez d’écrire des chansons qui ne semblent jamais totalement finies, un peu comme Sufjan Stevens.
Emil Svanängen : J’adore le travail de Sufjan. Ce que j’aime chez lui, c’est bien sûr ces arrangements mais aussi qu’il ne pense pas toujours sa musique comme un outil émotionnel. J’ai adoré Carrie And Lowell par exemple pour cette émotion absolument maîtrisée du début à la fin, c’est un immense songwriter, je suis extrêmement flatté que l’on me compare à lui. Ce qui me passionne dans la composition c’est la composition justement, j’aime l’idée qu’il reste une part d’énigme dans une chanson, cela lui donne une forme de vie supplémentaire.
« je crois que c’est intéressant de se restreindre pour ne garder que l’essentiel. »
Vous percevez-vous comme un songwriter ou un storyteller ?
Emil Svanängen : Je suis d’abord un songwriter mais j’aimerai tellement maîtriser le storytelling car j’ai compris que c’est important pour embarquer les gens dans votre univers. Je suis parti du début de ma carrière où les paroles n’avaient aucune espèce d’importance à une période où j’utilisais des images vagues à maintenant où je vois plus clair ce que je souhaite défendre dans mes mots. C’est assez proche d’un apprentissage de la musique finalement, maintenant que je suis à l’aise avec mon processus de composition, je peux m’atteler à cette partie-là que j’ai trop délaissée dans le passé. La meilleure manière d’apprendre à écrire des paroles c’est de s’asseoir et de s’y mettre. J’aimerai tant être un storyteller mais pour l’heure je ne suis qu’un pauvre songwriter (Rires).
Je trouve que l’écriture de vos textes fait beaucoup plus appel à la sensualité, au sentiment qu’à une envie de raconter une histoire.
Emil Svanängen : C’est absolument vrai, la sensualité est toujours le point de départ de mes textes car je sais que quelque part cela parle à celui qui écoute. Je me dis qu’avec la sensualité, je mets de l’humain dans ces chansons, un cœur qui bat, une sensibilité qui s’exprime. J’aimerai amener ma musique et mes textes vers plus de poésie, plus d’étrangeté. Une chanson comme I Am The Walrus des Beatles, je n’ai aucune idée du sens de ces paroles mais ce n’est pas grave, la magie s’opère ailleurs. Parfois les paroles ont pour objet de résonner avec la musique, parfois, elles sont un contrepoint, parfois elles éclairent, parfois non. Elles n’ont pas toujours de nécessité à raconter une histoire, c’est ce qui me passionne le plus pour le prochain disque de Loney Dear.
Dans la critique que j’ai écrit sur A Lantern And A Bell, j’évoque la brièveté du disque. Comment expliquez-vous cette brièveté qui peut aussi provoquer une forme de frustration très stimulante pour l’auditeur ?
Emil Svanängen : Loney Noir était mon autre album le plus court de ma discographie, je crois que la brièveté engendre quelque part la qualité et c’est en soi une qualité que de faire court. Je me suis dit que si tu ne peux pas faire bien en faisant long autant raccourcir. J’ai dès le début conçu ce disque comme un disque très court, je crois que c’est intéressant de se restreindre pour ne garder que l’essentiel. Après cette notion de frustration pour l’auditeur me plaît bien car cela l’implique dans l’écoute, il devient un acteur, il n’est pas passif.
Il y a également l’omniprésence de l’océan dans votre musique et également dans ce disque. Comment interprétez-vous cette présence de l’océan dans vos compositions ?
Emil Svanängen : Je crois que ma connexion à l’océan a quelque chose à voir avec la fascination mais aussi la peur des grands espaces étendus et plats. Je crois que l’océan est chez moi comme un double de l’inconscient, je ne sais vraiment en quoi l’inconscient interagit sur nos vies à la surface mais cet océan c’est aussi la possibilité d’un autre monde. Ce qui se passe à la surface est très différent de ce qui passe sous l’eau. Il y a aussi un rapport avec la distance et la lumière. L’océan est un espace à la fois inhumain et totalement magique, cela me semble une belle allégorie pour l’inconscient humain.
Emanuel Lundgren parle de ce disque comme une étape majeure dans la discographie de Loney Dear mais aussi dans votre histoire personnelle, Emil. Selon lui, vous avez appris cette notion de la perte de contrôle et de lâcher-prise. En quoi est-ce si important selon vous ?
Emil Svanängen : On en déjà parlé, je crois, mais finalement quand on perd le contrôle de sa vie, pourquoi ne pas accepter de se laisser porter par le hasard dans son acte de création ? J’ai fait appel à Emanuel sur ce disque car c’est un ami très proche et qu’il connaissait l’état que j’avais traversé car il me connaît très bien. En lâchant prise, j’ai appris à travailler avec les éléments et non contre comme je le faisais par le passé. On est parti vraiment de ce postulat de ne partir que des éléments préexistants et de ne rien ajouter de plus qui ne soit strictement indispensable à la chanson. Jusqu’ici, j’avais toujours eu cette compulsion à construire mes chansons couches par couches. Je cherchais à me cacher derrière tous ces éléments. Sur A Lantern And A Bell, je ne voulais plus me cacher et ma voix non plus. Je voulais retrouver la mémoire de l’émotion que je ressens durant un concert réussi, ce sentiment de l’instant présent vécu à 1000%.
J’aime bien cette phrase de vous : « Je veux faire de la musique moderne mais je ne veux pas faire de la musique actuelle ». Vous pouvez nous expliquer cette distinction ?
Emil Svanängen : J’ai toujours aimé le terme de musique d’avant-garde car il y a cette notion d’expérimentation. Dans mon cas, cette distinction, je la situe plus au niveau esthétique que proprement dans mes compositions. J’essaie de faire une musique qui n’est jamais totalement en phase avec le courant général, avec l’air du temps car j’ai envie d’enregistrer une œuvre sur la durée, quelque chose qui reflètera toute ma vie. Certains musiciens font de la musique pour être un marqueur de leur temps, je pense à Prince par exemple, il est un symbole des années 80. Mon choix du piano pour ce disque m’est venu de ce raisonnement que le piano a connu des périodes où il n’intéressait plus grand monde et il est toujours revenu, j’espère qu’il en sera de même de A Lantern And A Bell.
Vous dites : « J’évolue vers un état plus audacieux, je suis confiant, puissant, je suis devenu un chanteur, j’ai appris mon obscurité et découvert mon magnétisme ». Vers quoi souhaitez-vous amener la musique de Loney Dear à l’avenir ?
Emil Svanängen : Je ne sais pas encore précisément où nous irons mais je sais très clairement ce que je ne veux plus. J’ai vraiment envie d’explorer cette notion de l’enregistrement d’un album aux plus près des conditions du Live car je crois que cela permet de garder quelque chose d’indéfinissable, une forme d’authenticité, de sincérité peut-être. J’ai envie de continuer à simplifier ma musique pour l’amener dans une seule direction, de quelque part la garder sous contrôle en acceptant de perdre le contrôle.
A Lantern And A Bell est sorti le 26 mars 2021 chez Real World Records.
Loney Dear – A Lantern And A Bell : un nouvel album enivrant, doux et profond