L’allemand Johann Pätzold signe avec Chronos un disque d’Ambient, mais pas seulement, avec son projet Secret Of Elements. Entre musique électronique et acoustique, il tisse une matière singulière et hautement émouvante où le temps est comme en suspension.
Un jour, il faudra s’attarder plus longtemps sur le cas du Label InFiné qui parvient à faire se rencontrer expérimentation et succès, exigence et reconnaissance publique. Car il sera bien difficile de citer ici tous les disques qui nous ont enthousiasmé de la part du label estampillé peut-être en (toute petite) partie à tort de label de musique électronique.
Nombre d’artistes de leur catalogue nous ont passionné ces dernières années. On pourrait citer bien sûr Arandel et son brillant In Bach l’année dernière. Pourtant, il n’y a rien qui ressemble plus à un disque d’Ambient qu’un autre disque d’Ambient. Les têtes pensantes d’InFiné ont pour seule ligne éditoriale une exigence chevillée au corps, ne pas accepter la tiédeur mais seulement l’excellence.
Secret Of Elements, le projet de l’allemand Johann Pätzold n’est certainement pas dans la tiédeur mais assurément dans l’excellence. A quoi peut-on expliquer cette singularité que l’on sent dès les premières notes de Chronos ? On a fouillé un peu dans la biographie de ce musicien du nord de l’Allemagne, originaire de Rostock. Pour le moins que l’on puisse dire, c’est que la vie de Johann Pätzold est faite de contrastes. Son premier album, Minds, est né dans la souffrance et l’isolement d’une chambre d’hôpital où il séjournait pour se faire soigner pour une dépression. Ce disque à la fois cathartique et thérapeutique lui permet de poser le premier jalon d’une découverte de soi, d’une quête d’un ailleurs possible. En 2015, Alexandre Cazac d’InFiné le repère et l’invite sur une compilation, ce sera le début d’une collaboration qui ne cessera jamais. Si l’on veut comprendre le travail du multi-instrumentiste, il faut peut-être le percevoir comme un mouvement permanent, comme un geste d’activiste. lui qui s’est tout autant impliqué physiquement pour la sauvegarde d’un théâtre dans sa ville que pour un accueil décent des migrants en Allemagne.
Ce que l’on ressent immédiatement à l’écoute de la musique de Johann Pätzold, c’est son évidente sincérité, son refus de l’artifice et de la fioriture. Simple sans oublier d’être complexe, limpide sans jamais perdre de son mystère, Chronos nous fascine et nous inspire. Mais ce qui est absolument remarquable sur ce disque brillant, c’est cette économie des effets, de la place primordiale qui est apportée à l’ambiance. Vous n’entendrez ici aucun piano étouffé, aucun craquement, aucun effet de manche un peu stérile. Secret Of Elements signe une musique qui pourrait paraître anecdotique si elle n’était pas si sincère. On sent chez l’allemand une recherche de l’authenticité, du refus du filtre qu’il soit numérique ou psychologique.
Chaque titre des onze plages qui constituent Chronos va droit à l’essentiel, si Johann Pätzold vous annonce un moment de Grace, il ne vous ment pas. Astral avec ses voix élégiaques tient ses promesses célestes. A sa manière, Secret Of Elements se pose là en contraire absolument dichotomique de ces musiciens qui se cachent derrière des couches et des couches d’effets comme le Caretaker sourd de Leyland Kirby. Vous savez, je parle de ces musiciens qui prennent plaisir à salir et à intranquilliser la sérénité de leurs mélodies. Johann Pätzold fait exactement le contraire, il déleste et épure pour ne garder que la ligne mélodique dans son plus simple appareil. Pourtant ici, aucun jeu avec le silence, au contraire sa musique occupe l’espace et le borne, le malaxe et en distord les contours. Refusant de choisir son camp entre musique néo-classique et électronique, Secret Of Elements poursuit un objectif vague et en même temps précis, se raconter à travers des sons muets et ce que Johan Pätzold a à nous raconter est précieux et mérite qu’on l’écoute. Il faudra peut-être comprendre ce Chronos comme un bilan de vie, comme le retour en arrière d’un individu qui se regarde sans complaisance ni amertume.
Bien sûr, on pourrait rapprocher ce Chronos d’influences comme celles d’un Yann Tiersen sur A Last Waltz avec la présence primordiale du pianiste Mischa Blanos ou des premiers Olafur Arnalds, And They Have Escaped The Weight Of Darkness (2010) en tête mais on ne cherchera pas à trop cérébraliser notre relation à l’univers de Secret Of Elements qui reste avant tout une expérience sensorielle. J’en veux pour preuve ce Memento à découvrir au casque qui parvient à mettre en son l’irruption d’un souvenir. Avec une intelligence certaine, Johann Pätzold joue avec la spatialisation du son, son déplacement dans l’infini. Viniculum, pièce maîtresse du disque, déploie sur huit minutes sa dramaturgie qui n’est pas sans rappeler la glace d’un Max Richter sur War Anthem. Partant d’un mantra indien, ce morceau bouleversant est à comprendre comme un hommage aux enfants de migrants disparus au large de nos côtes. Sur ce disque à la limite de la perfection, Johann Pätzold écrit une musique totalement transcendante mais d’une transcendance qui rejette le mysticisme.
Chronos est de ces disques qui s’insinuent en vous, deviennent comme une seconde peau, comme une vie parallèle à la notre, comme un complément indispensable à ce que nous pourrions être.
Greg Bod