Avec Une Fille, Laura Cahen vient confirmer tous les espoirs placés en elle à l’occasion de la sortie de son premier disque, Nord en 2017. C’est bien à l’éclosion d’une grande auteure que nous assistons, chainon manquant possible entre Anne Sylvestre et Portishead.
Pourquoi notre société moderne s’interroge-t-elle tant sur la question du genre ? Le masculin comme le féminin, le transgenre comme la minorité qui ne dit mot. Faut-il y voir une forme de tolérance en permanente construction, en perpétuelle interrogation ? Faut-il y voir plus cyniquement un thème à la mode qui passera comme tout passe ? Ou alors assistons-nous à une métamorphose du monde dans lequel nous vivons, vit-on les derniers instants d’un monde d’avant ? A quoi pourrait ressembler le monde d’après ? Peut-être aux climats libertaires, oniriques et incarnés des chansons de Laura Cahen.
Si comme moi, le virage electro-kitsch qu’a pris une certaine scène française Pop vous laisse au mieux indifférent, au pire largement perplexe, vous pourriez penser à la première écoute qu’Une Fille, le second disque de Laura Cahen, n’est pas pour vous et vous auriez tort. Car la jeune femme apporte dans ses bagages quelque chose qui ne ressemble à rien d’autre qu’a elle -même. On entend ici un cross-over possible entre des dérives électro, une variété de haute tenue (oui, cela existe !) et une écriture sibylline.
Le disque navigue dans une sorte de malentendu un peu malaisant, piochant aussi bien dans le Trip-Hop d’un Portishead première période ou d’un Hooverphonic que du côté des premiers Daphné.
Un peu comme sa consœur Maissiat (que l’on rêve avec impatience de voir revenir), Laura Cahen a cette intelligence de ne pas vouloir tenir compte des querelles de clocher entre les genres, cette fois-ci musicaux. On peut aussi bien plonger dans la tourmente Indé que dans des structures éminemment populaires. Pour elle, assurément, on sent que le terme de variété n’est pas un vilain mot. C’est peut-être même le contraire. Elle a bien compris que pour faire avancer ses mots et les causes qu’elle défend dans ses disques, il n’y a pas mieux que la simplicité et la frontalité des propos.
Une Fille est un disque bipolaire aux contrastes saisissants, Laura Cahen évite tous les pièges sur cet album, à commencer par celui de la délicatesse en musique, car de la délicatesse découle souvent de la linéarité. Avec maestria, Laura Cahen se déjoue de cet écueil par cette science des mélodies caractérielles, elle est non seulement délicate mais elle peut aussi s’affirmer dialoguiste d’un film imaginaire, personnage et metteuse en scène d’un film sans images. L’instant d’avant, évanescente, l’instant d’après qui glisse entre nos doigts comme du sable, une seconde plus tard, affirmée et posée dans son rythme. Il n’y a pas une seule fille sur ce disque, plutôt cent, mille et des garçons aussi et des hommes, des humains qui n’ont que faire des genres, loin des barrières, les poings qui se serrent.
Là où Maissiat sur Grand Amour (2016) « osait » parler des amours entre femmes en en délestant la dimension érotique avec une écriture qui devait tant au Pierre Louys des Chansons de Bilitis, Laura Cahen est beaucoup plus frontale, elle le chante comme une évidence ne cherchant pas à affirmer quoique ce soit, voulant juste vivre, vivre pleinement et totalement. Côté composition, Laura Cahen est également changeante, allant aussi bien du côté d’un minimalisme vibrant et touchant que dans des formules Pop. Toutefois, là où elle se révèle la plus bouleversante, c’est sans aucun doute dans ces chansons plus en mid-tempo où elle laisse la dramaturgie s’installer comme sur Nuit Forêt, sommet d’un disque qui en contient tant d’autres, comme une rencontre entre le Pagan Poetry de Nathalie Réaux et la voix sans limite d’Alison Goldfrapp sur Horse Tears sur Felt Mountain (2000). Son duo avec Yael Naïm le temps d’un Coquelicot relève de la merveille pure.
Ce qui sonne comme une évidence, c’est que l’on est en présence d’une présence, d’un univers singulier, d’une personnalité à la fois fantasque et pudique, d’une personnalité musicale qui rappelle la folie d’une Shara Worden, l’intranquillité d’une Françoise Hardy.
Une Fille est belle et bien la confirmation d’un événement, la naissance d’un auteur.
Greg Bod
Laura Cahen – Une Fille
Label : [PIAS] Le label
Date de sortie : 7 mai 2021