Dans L’hôtel de verre, Emily St John Mandel nous fait des portraits de femmes et d’hommes, d’êtres humains sur fond de crise économique. Une histoire pleine d’humanité sur le vice et la décadence capitaliste.
Douceur, mélancolie et espoir
Emily St John Mandel est devenue une star planétaire avec Station Eleven paru en 2015. Ce qui était déjà son 4e roman a connu un succès énorme, traduit dans quelque chose comme 40 langues, finaliste du National Book Award aux USA et prix Arthur C. Clarke en 2015. Le roman – une maladie se répand à une vitesse hallucinante sur la planète, détruit presque tout – avait quelque chose de prémonitoire mais aussi positif. La dernière scène montrait Kirsten Raymonde, l’une des personnages principales devinant des lumières dans la lointain. L’électricité était revenue. Cela la rassurait, lui réchauffait le coeur. Après s’être effondré, le monde repartait … de là où il s’était arrêté ! Station Eleven, une sorte de feel good book, sur la capacité de renaître, sur la permanence. Une leçon d’espoir, teintée de douceur et de mélancolie.
C’est le même sentiment que l’on peut ressentir à la lecture L’hôtel de verre. Avec la même grâce et la même douceur, Emily St John Mandel nous raconte une histoire dramatique. Encore l’histoire d’une pandémie, pas celle qui est causée par une maladie biologique mais par un système qui déraille. Le monde ne s’écroule pas mais il vacille dangereusement, les gens ne meurent pas par milliards mais le malheur frappe et les victimes se comptent par milliers. L’espoir prend une forme différente mais on le trouve quand même, d’une façon différente.
Une histoire complexe découpée comme une série
L’histoire est à la fois simple et compliquée, parce que c’est une histoire sur notre monde, notre société, l’argent et le capitalisme, ses vices et ses vertus, avec de l’amour et de la trahison, des ambitions, des victoires et des défaites. St John Mandel est une écrivaine sophistiquée qui aime les intrigues complexes, qui combine plusieurs histoires dans sa grande histoire. Elle va de l’avant, revient en flashback, commence par la fin – assez compliquée à comprendre au début, d’ailleurs – passant d’un personnage à un autre, d’une scène à une autre. L’hôtel de verre est très découpé. Comme souvent dans les polars. Ou, comme chez de glorieux anciens, John dos Passos ou John Brunner. Mais sans l’urgence et la frénésie que l’on trouve chez ces dernier. Emily St John Mandel nous plonge dans la vie de ses personnages, lentement, progressivement, nous immerge et nous laisse vivre avec eux.
Ponzi, avantages et inconvénients
D’abord Vincent, une femme, nommée d’après la poétesse Edna St Vincent Millay, l’une des personnages principales du roman. Paul, son frère, et Melissa, une amie de Vincent. Il y a aussi Walter, le manager de l’hôtel de verre, et Jonathan Alkaitis, un investisseur qui achète l’hôtel. Et puis, Léon, qui travaille dans une compagnie de transport maritime et finit comme travailleur itinérant, Olivia, peintre, qui tombe amoureuse du frère de Jonathan, Ella Kaspersky (comme l’anti-virus!) … Tous ces personnages rentrent sur la scène, participent à l’action, sortent de l’histoire, une histoire qui tourne autour de Vincent et de Jonathan, ou l’inverse. Ils ne sont rien l’un sans l’autre. Jonathan met en place un schème de Ponzi qui l’enrichit immensément, lui permet d’acheter cet hôtel de verre où travaille Vincent, Paul et Melissa. Il tombe amoureux de Vincent, qui le suit et qui grimpe sur le toit du monde avec lui. Et qui en redescendra aussi, avec les autres victimes.
Personne n’est parfait
Emily St John Mandel nous raconte comment ils se rencontrent, vivent, s’aiment, réussissent, s’enrichissent, finissent en prison, meurent. Personne n’est totalement bon ni parfaitement mauvais. Tout le monde est terriblement humain, tellement humain qu’on en vient à les aimer tous, malgré leurs défauts. Y compris l’escroc, le mauvais de l’histoire et il est vraiment mauvais. Au moment où on réalise qu’il est pourri, c’est trop tard : on a vécu avec lui et on s’est presque pris d’affection pour lui. Et les bons aussi ont quelque chose sur la conscience. Tous. Personne ne réussit sans avoir pris quelque chose à quelqu’un d’autre. Nous sommes tous des pécheurs. Et, oui, il y a quelque chose de pourri au royaume du … Nous pouvons désespérer – le péché est partout – ou espérer – nous péchons tous ! Emily St John Mandel semble préférer l’espoir.
Alain Marciano