Après le premier Lp d’Olivier Rocabois et bientôt l’EP3 de The Reed Conservation Society (en juin), l’année 2021 semble placée sous le signe de la Pop baroque. Once, premier album de Maxwell Farrington & Le SuperHomard poursuit l’aventure dans ces mêmes traces, celles d’un Lee Hazlewood ou d’un Scott Walker, sans être jamais passéiste ou vaguement nostalgique.
A force de se pincer, on finit par avoir la chair de nos petits bras tout rouges. Peu d’entre nous auraient parié il y a encore quelques années au retour d’un son Pop Baroque, d’autant plus dans notre petit hexagone musicalement parfois étriqué et nombriliste. Bien sûr, on avait eu quelques indices annonciateurs, je pense aux angevins de A Singer Must Die, leur Venus Parade & More Songs Beyond Love (2014). Leur leader et chanteur Manuel Ferrer avait une étrange trinité, Neil Hannon, Philippe Pascal et Mireille Mathieu. Loin d’être une blague, le natif d’Angers pensait que la variété des années 60 et 70 s’était également nourrie des productions de Noel Scott Engel, pour preuve les orchestrations splendides de morceaux des années 60 de Mireille Mathieu comme Le Funambule que l’on pourrait prendre pour des chutes précieuses de studio d’Ivor Raymonde, père de Simon Raymonde qui participa aux enregistrements des disques de Scott Walker. La boucle est bouclée !
Certes, du côté de l’Angleterre, Neil Hannon avec The Divine Comedy avait repris le flambeau avec de grandes réussites et aussi des disques plus en demi-teinte. Philippe Katerine s’était bien quelque peu essayé à l’exercice de style avant de faire entrer un maximum de folie dans ses chansons. Sauf que la chose restait à l’exercice de style. 2021 a prouvé que l’on pouvait se colleter en France à la Pop Baroque et proposer des disques excitants pour ne pas dire passionnants. On ne redira pas ici tout le bien que l’on pense de la musique d’Olivier Rocabois ou de The Reed Conservation Society. Mais force est de reconnaître que l’on assiste à l’émergence de musiciens décomplexés, lettrés et voulant en découdre avec un genre (casse-gueule) qui confine quand il est mal produit ou mal appréhendé au kistch, au geste passéiste, à cette saveur rance du « C’était mieux avant« . Par contre quand il est imaginé par des artistes et de grands musiciens, il nous transporte dans un ailleurs qui devient difficilement datable. Disons le tout net, Once, premier disque de l’australien Maxwell Farrington et le français Superhomard (Christophe Vaillant) est touché du début à la fin par la grâce et pourra se ranger commodément sans rougir aux côtés du 3 de Scott Walker, des meilleurs disques de Pulp ou de Richard Hawley, ceux de Charlie Rich ou Lee Hazlewood.
Ce qui est sûr également, c’est que le label bordelais Talitres qui abrite cette pépite fait partie de ces labels qui se plaisent à noyer le poisson pour le plus grand bonheur de ceux qui le suivent mais pour le plus grand malheur des « critiques musicaux » qui auront bien du mal à étiqueter le catalogue de cette caverne d’Ali Baba. Qu’ont donc en commun Flotation Toy Warning, Dakota Suite, The Apartments, Micah P. Hinson, Raoul Vignal ou Idaho ? Rien à première vue ni à la seconde et encore moins la troisième… et c’est tant mieux. Et si une maison de disques pouvait refuser de s’enfermer dans une seule ligne éditoriale pour seulement assumer ces coups de coeur et peu importent les genres, les styles et les ventes possibles. Le seul point commun que l’on pourra capillo-tracter entre ces artistes et Maxwell Farrington & Le SuperHomard, c’est la nationalité de l’australien Maxwell Farrington que l’on pourra rapprocher du vétéran mais toujours vert Peter Milton-Walsh.
Once offre ce tour de force de ne jamais être passéiste mais aussi de ne jamais se laisser coincer par ses références qui pourraient courir de Sinatra à Lee Hazelwood ou encore Scott Walker bien sûr. Le groupe ne fait jamais dans le pastiche, à la manière de ou encore une caricature second degré. Non au même titre que les Punks disaient que le mouvement Punk c’était avant tout une manière de vivre, un art de vivre; chez Maxwell Farrington & Le SuperHomard, c’est également une manière d’appréhender la vie dans ces textures-là. Bien sûr, on imagine aisément les deux comme deux passionnés, un peu monomaniaques (mais les passionnés sont toujours des monomaniaques non ?), des productions de 1966 à 1971 un peu comme un musicologue qui n’étudierait que les grands maîtres italiens, Corelli, Vivaldi et tout le chianti !
Le Superhomard n’en est pas à son premier coup d’essai, on se rappelle des quelques Eps qui essaiment sa discographie et le sublime Meadow Lane Park (2019) qui furetait déjà du côté des sixties par le bout d’une lorgnette féminine à travers la voix de Julie Big, un peu comme si Broadcast gagnait en légèreté, comme si The High Llamas s’acoquinaient au Colombier de Michel ou à Benjamin Schoos, comme si Sarah Cracknell se perdait dans la belle ville d’Avignon où sous le Pont, on y danse et on y danse. Pour ce qui est de Maxwell Harrington, on rappellera que ce dernier fait partie du groupe de Saint-Brieuc, Dewaere, groupe de noise auteur de Slot Logic en 2018. On peut imaginer aisément le grand écart tant en termes d’écritures que de chant pour le briochin. On sent également à l’écoute de Once une volonté pour Christophe Vaillant de modifier son processus de création, là où Le Superhomard pouvait ressembler à un projet solo déguisé en groupe, lui arrivant en studio avec les morceaux presque finalisés, pour ce disque, Once, on sent viscéralement que les deux ont travaillé à quatre mains en complices chacun apportant telle ou telle inflexion, tel ou tel état d’âme qui ne font qu’alimenter ces chansons.
Il faudra remarquer le raffinement exquis qui habite ces chansons, l’élégance de dandy qui s’affirme ici. Aucune faute de goût, point de cahier des charges suivi ni de croix appliquée sur tel ou tel ingrédient employé dans ces morceaux de pop de label supérieur. Tout est question d’équilibre ici, on entend des notes de clavecin comme évacuées d’un inédit de The Left Banke, ici un duo avec Ida Morris sur Big Ben comme un écho de Lee Hazlewood avec Nancy Sinatra ou encore celui de Cowboy In Sweden. Oui nombre des ingrédients de ces disques mythiques sont ici présents mais ils sont parcourus d’un autre souffle, de celui de deux musiciens de 2021, de deux contemporains qui ont entendu autre chose et sont allés s’inspirer à d’autres fontaines. Cela me rappelle cet échange avec Piers Faccini qui m’expliquait pourquoi il aimait tant les musiques traditionnelles :
« Aujourd’hui, j’écoute beaucoup de vieux enregistrements. Ces enregistrements datent d’un temps où les gens voyageaient beaucoup moins, il n’y avait pas la mondialisation. La radio n’existait pas dans ces endroits-là. Ce qui est extraordinaire dans ces enregistrements, c’est que l’on entend par exemple dans ce musicien qui jouait de la musique dans une forêt du Congo ou dans le Sud de L’Italie, ces musiciens ne connaissaient pas d’autre chose que leur seule musique. On entend cette richesse-là dans ces enregistrements, c’est quelque chose que l’on n’entend plus, c’est quelque chose que l’on a perdu. On peut avoir la même qualité de chanteur ou de musicien mais il est impossible d’enlever le fait que l’on a entendu d’autres sons et d’autres musiques. »
Piers Faccini – Extrait de son entretien
Paradoxalement, ce qui rend si riche et si actuelle la musique pourtant référencée de Maxwell Farrington & Le SuperHomard, c’est que précisément, ils ont entendu autre chose, ils ne sont pas dans cet acte de transmission d’un modèle pur, ils sont cernés par un monde moderne qui influe sur leur perception et donc leurs compositions. On entend tout autant de la Northern Soul que des perles flamboyantes de Pop portées par la voix langoureuse et superbe de Maxwell Farrington. On y surprend des cuivres beaux comme un orchestre mariachi, des mélodies soyeuses dans lesquelles on aimerait vivre. Sur Hips, on surprend le Richard Hawley un peu égaré de The Ocean, l’Erin Moran de 2004 ou le Mehdi Zannad de Fugu.
Et puis il y a ce regard croisé de deux individus, l’un français, l’autre australien apportant une perception déformée par leur ethnocentrisme bienvenu, Once finit par se rendre apatride et intemporel. Sans aucun doute on n’aurait pas parié un Kopek sur un grand disque de Pop Baroque en 2021 et au stade où nous en sommes nous en avons déjà trois. Pas besoin de se pincer, le rêve est bel et bien réel. N’ayez pas peur, c’est vrai, parfois la mélancolie peut tourner à la vertu rance, elle peut avoir un arrière-goût qui irrite la gorge mais quand la mélancolie prend des atours lumineux, elle devient un tremplin vers autre chose, le lent décompte d’une suite de chiffres qui annonce un décollage à venir… Un, deux, trois…
Once, oui, mais Once again.
Greg Bod