[Mubi] « De l’amour. Le cinéma de Wong Kar-Wai » : 4 films du cinéaste hongkongais

En attendant la ressortie du chef-d’œuvre In the mood for love le 21 juillet 2021 en version restaurée 4 K sur les écrans hexagonaux, la plateforme indépendante MUBI a mis en ligne 4 titres restaurés du magicien de l’image dans une sélection intitulée De l’amour. Le cinéma de Wong Kar-Wai.

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L’occasion rêvée pour se mettre en quatre, à travers un coup de projecteur sur le récipiendaire du Prix Lumière 2017 cinéaste du cœur, dont l’inestimable Bertrand Tavernier a écrit : « Parlons du cœur. Il bat dans tous les films de Wong Kar-Wai. Mis à nu, écorché, il s’arrête, repart, s’emballe, palpite comme un oiseau blessé, à même l’écran qu’il irrigue de bouffées de vie, de bouffées de sang ».
Voici quelques bouffées supplémentaires pour respirer et ressentir un peu le cinéma de Wong Kar-Wai.  

LES CENDRES DU TEMPS REDUX (2008)

 Quand l’amour consume les lames

Les-Cendres-du-temps-ReduxLes Cendres du temps en version redux a pris une ampleur d’opéra romantique. Un Wu Xia Pan revisité comme Sergio Leone a changé le western. Un film de chevalerie, de sabre, fou, contemplatif qui est touché par la grâce, coloré en or comme un tableau de Van Gogh post-impressionniste. Le cinéaste bien qu’il utilise la plupart des codes du genre (décors, costumes, personnages…) va les pervertir à loisir en transformant le tout en une suite de rencontres, des destins croisés, des triangles amoureux complexes, comme on n’en voit que chez ce cinéaste, afin d’en faire ressortir deux thèmes essentiels : le travail de destruction du temps qui passe et l’amour qu’on essaie d’oublier (un vin qui est censé enlever la mémoire, source de tourment). Wong Kar-Wai maîtrise remarquablement sa caméra, la manipule, créer des effets de vitesse, de ralentis (notamment lors des combats magnifiquement chorégraphiés), des virtuosités esthétiques qui rappellent également la peinture figurative et illuminent ce conte à la fois d’une violence sidérante et d’une douceur infinie. Un bijou qui réunit un des plus beaux castings jamais réunis à Hong Kong : les deux Tony Leung, Maggie Cheung, Carina Lau, Brigitte Lin, Jackie Cheung, Charlie Young et le regretté Leslie Cheung, avec des dialogues dont on boit chaque mot comme si c’était les choses les plus importantes qu’on ait jamais entendues…Fresque héroïque qui mélange des images sublimes, des légendes chinoises bouleversantes, envoûtée par une partition musicale épique qui donne des frissons. Un chef-d’œuvre où la vie c’est le temps qui se consume, dont les cendres qui restent ne sont que des souvenirs… Et si les histoires d’amour n’étaient que des poèmes inachevés…

CHUNGKING EXPRESS (1994) :

Chungking house, midnight Express…

chungking-expressUne errance pop mélancolique rêveuse, déclinée en deux actes qui relient l’histoire de deux flics détachés de leur petite amie. Deux matricules qui vont s’abandonner à leur fantasme de retrouver une communion avec leurs âmes sœurs, auprès d’une trafiquante de drogues dont sa marchandise a été dérobé pour l’agent 223 et aux côtés d’une pétillante serveuse de fast-food pour l’agent 663. Deux parties distinctes qui se répondent en écho filmées caméra à l’épaule pour être au plus près des pulsations et brosser au mieux le portrait déchirant d’une jeunesse en quête d’identité à travers ces quatre trajectoires. La mise en scène épouse  constamment la frénésie des divorces des cœurs, la mélancolie des amours perdus, l’espoir ludique et poétique de futures retrouvailles avec une fluidité épatante même quand les âmes sont dans les flous. Le cinéaste livre une narration elliptique et place le spectateur en chaînon manquant notamment dans la deuxième partie où Faye Wong (sorte de Jean Seberg à bout de souffle) utilise en boucle le tire « California Dreaming » de The Mamas & the papas pour oublier ses peine et tente retrouver vitalité et grâce devant la classe mystérieuse d’un impeccable Tony Leung. Wong Kar-Wai poétise le quotidien comme personne, offre un romantisme désenchantée, sur les difficultés de communiquer et les mirages de l’amour. Cette œuvre plurielle déploie une liberté de ton bienfaitrice à la formidable beauté plastique, où l’inventivité folle de la réalisation collent parfaitement à la vitalité et aux affres de l’existence de ses quatre protagonistes. Chungking Express apporte à chaque nouvelle vision un supplément d’âme. Un long métrage bouillonnant, enivrant et sensuel, comme la ville de Hong Kong, sous les néons des nuits colorées, qui illuminent les amours non artificiels jamais réellement éteints.

LES ANGES DÉCHUS (1995) 

 Seuls les fous s’aventurent là où les anges ne vont pas

Les-Anges-dechusInitialement prévu comme la troisième partie de l’épatant Chungking Express, ce cinquième long métrage du brillant réalisateur Wong Kar-Wai plonge le spectateur dans un tourbillon d’images. L’histoire s’inscrit la nuit à Hong-Kong, où l’on croise un tueur à gages, une punkie partenaire et un muet dan un labyrinthe d’émotions, qui se referme sur le spectateur. Une claustrophobie où la solitude règne à cause l’incapacité de communiquer avec l’autre. Le cinéaste triture judicieusement l’image, dilate le temps (les ralentis engluant ces anges déchus sont autant de traces de l’empoisonnement du présent dans le passé) manipule l’espace avec maestria et frénésie…Le cinéaste impressionne la rétine avec des extrêmes accélérations ou de magnifiques ralentis stylisés.  Une réalisation qui décompose le mouvement pour mieux envelopper la richesse sensorielle et subtile de ce drame angoissant, où les personnages sont empoisonnés par la mélancolie, où les seuls plaisirs surviennent grâce à un juke box où dans la masturbation. La phosphorescence de l’image donne cohérence à une narration dans tous les sens, où l’essence des âmes au cœur de plusieurs histoires parallèles de ces solitaires adulescents sauvages offrent une alchimie du tout au milieu d’une ville qui ne cesse de palpiter. Des âmes mouvantes désespérées qui déambule au cœur de l’absurdité de nos existences confuses, le chef d’orchestre Wong Kar-Wai en livre une partition nocturne, excitante et obsessionnelle !

HAPPY TOGETHER (1997)

Vous reprendrez bien un tango amoureux ?

Voir ou revoir Happy Together c’est retrouver une déchirante histoire d’amour entre amants déracinés de leur ville natale Hong-Kong (comme le réalisateur) qui s’envolent vers Buenos Aires pour  » repartir de zéro « . Un long métrage sous la forme d’un déchirant « je t’aime, moi non plus » Wong Kar-Wai alterne le noir et blanc et la couleur et filme sensuellement, viscéralement cette relation amoureuse homosexuelle de manière brute sans l’idéaliser. Le récit dévoile l’intrigue amoureuse comme un journal intime, composé de sexe, de disputes, de réconciliations, de tendresse, d’affrontement et de larmes. Le réalisateur ausculte avec brio cette histoire d’amour avec une justesse singulière, une virtuosité esthétique (magnifique photographie de Christopher Doyle) et un sens du montage saccadé composant un véritable tango passionnel où la nostalgie s’inscrit dans des objets concrets ou comme à travers les chutes d’Iguazu cristallisant un amour et un paradis perdu… Une œuvre élégiaque d’un réalisme poétique, sublimée par deux acteurs émouvants : Tony Leung et Leslie Cheung. Une errance des cœurs, rythmée par les sons du bandonéon d’Astor Piazzola, des riffs de Frank Zappa ou encore de la pop festive du groupe The Turtles. Une bande originale éclectique qui illustre en parfaite symbiose l’encéphalogramme des déchirements des âmes, soulignant sensoriellement la difficulté d’être foncièrement Happy Together… À la fois fiévreux, âpre, envoûtant et fragile, chacun de nous s’y reconnaît un peu au sein de ses amants de Buenos Aires.

Tous ces films sont à voir en streaming et VOD sur MUBI (en versions restaurés) et sur UniversCiné, La Cinetek, Orange VOD etc…