On ne dira jamais assez bien de la musique de l’irlandais Adrian Crowley et ce n’est pas son 9e album qui nous donnera envie de perdre cette bonne habitude. On aime ses chansons à la fois hantées et empathiques, cruelles et humaines, lucides et rêveuses. On l’a interrogé sur les disques qui l’ont lui aussi happé récemment et sur ceux qui l’ont constitué.
Il y a quelque chose du peintre dans l’approche que peut avoir d’une chanson l’irlandais Adrian Crowley. Comprenez ce rapprochement de plusieurs manières, à l’image d’un peintre qui esquisse mille fois la même forme pour en faire sortir l’émotion la plus prégnante, Crowley travaille encore et encore les mêmes obsessions. Comme un peintre, il construit ses chansons autour de minuscules détails constitués de sensations et de significations à creuser. Il fallait bien ce 5+5 pour entrer un peu plus loin dans la tête du compositeur.
5 disques du moment :
Thomas Bartlett – Shelter
Cet album est sorti l’année dernière, mais je ne cesse d’y revenir… et je continuerai à le faire. Mon cher ami, Thomas, a enregistré ce magnifique album en deux jours seulement, au début du premier confinement à New York.
Je pense qu’il l’a créé pour s’apaiser en réponse à ce qui se passait dans le monde en général. Il s’agit d’une suite de pièces pour piano solo. Chaque pièce porte le nom d’un type de rose. J’imagine Thomas assis dans ce studio que je connais si bien, au piano, près de la fenêtre, la télévision allumée avec le volume baissé… les lumières nocturnes du centre de Manhattan juste à l’extérieur. Quel magnifique cadeau fait au monde que cet album. Je l’ai écouté en marchant dans les rues tranquilles de Dublin la nuit et lors de longues promenades le long du front de mer. Cette musique vous mène vers un endroit de silence et de tranquillité.
Brigid Mae Power – Head Above The Water
Encore une amie qui m’est très cher. Brigid continue de faire des disques incroyables. Chacun d’entre eux est un véritable bijou. Sa voix est une chose rare de force, de sentiment et de pureté. Enregistré à Glasgow avec une équipe de musiciens incroyablement doués, dont Alasdair Roberts et Peter Broderick, cet album a cette qualité rare, de ces disques qui vous étreignent comme un ami perdu depuis longtemps. Les chansons de Brigid sont aussi très fraîches. Elles viennent toujours du cœur et ne semblent jamais laborieuses. Elle a aussi une belle façon d’ornementer les notes – des tournures subtiles qui sont en fait très complexes mais qui, pour elle, ne demandent aucun effort. Ses autres albums sont également des bijoux. Et je me souviens avoir écouté un CD de son tout premier enregistrement qu’elle a capturé en direct dans l’église St Nicholas au cœur de la ville de Galway. Il était clair alors qu’elle était une artiste spéciale. Oh, et Brigid est également originaire de Galway, ce qui fait d’elle une compatriote galloise.
James Johnston / Steve Gullick – Stormy Sea
C’est un très bon disque qui semble être sorti avec peu de promotion. C’est une chose vraiment délicieuse, pleine de détails granuleux et d’atmosphère. C’est l’association de deux vieux amis qui ont pris leur temps pour capturer de la magie. Ces deux messieurs sont des artistes pluridisciplinaires. Steve, comme vous le savez probablement, est un remarquable photographe de musique et a un groupe appelé Tenebrous Liar. Il est également producteur sur certains de mes albums , ou peut-être devrais-je dire « ingénieur du son« . Steve a pris la photo pour la couverture de mon album Some Blue Morning. En fait, cette séance de photos s’est déroulée à Union Chapel, à Londres, et lorsque nous avons terminé, Steve m’a invité à prendre une bière avec lui au Lexington, où il rencontrait un ami dont le groupe était en pleines balances. Il s’est avéré que cet ami était James Johnston et que le groupe était Gallon Drunk. Je suis resté assisté au concert. C’était électrisant. James Johnston est aussi un bon peintre et un multi-instrumentiste comme vous pouvez le voir sur les crédits de cet album. La vidéo de Stormy Sea a été réalisée par Steve à partir des dessins de James.
Floating Points, Pharoah Sanders & The London Symphony Orchestra – Promises
Je suis allé voir Pharoah Sanders il y a quelques années au National Concert Hall de Dublin. Je me souviens que l’auditorium était plein et qu’on sentait comme un bourdonnement d’impatience. Bientôt, les lumières se sont éteintes et le bourdonnement s’est transformé en un silence… puis un homme âgé est monté sur scène en traînant les pieds, apparemment avec beaucoup de difficultés… en se déplaçant lentement, lentement. Puis, soudainement, il s’élance d’un bond agile, en riant et en désignant le public comme s’il voulait dire « Ha ! je vous ai eu !« . Sa performance était hors du commun. Enjouée, exubérante, dévotionnelle et euphorique. Cet album ressemble déjà à un classique. Il est frais et joyeux et possède une modernité courageuse avec juste assez de dissonance et d’angularité. Et l’orchestration est magnifique. (lire notre critique)
Michel Cloup Duo & Pascal Bouaziz – A La Ligne. Chansons D’Usine
Encore un vieil ami : Michel Cloup. (Je n’avais pas l’intention que cette liste soit envahie par de vieux copains ! ). Des chansons sur le travail à la chaîne dans une usine. Plus précisément, une usine de transformation de fruits de mer. Et pour être plus précis : des crevettes. Les paroles sont tirées du roman À La Ligne Feuillets d’usine de l’écrivain Joseph Pontus qui, malheureusement, est décédé récemment bien trop jeune. C’est vraiment un disque puissant. Et comme pour tout ce que Michel Cloup crée et dans lequel il est impliqué, il a un sens de l’urgence et une beauté viscérale.
5 disques pour toujours :
The Velvet Underground & Nico
Avant même d’avoir écouté cet album, j’avais entendu beaucoup de choses à son sujet. Je venais de terminer mes études secondaires et j’avais prévu de déménager dans une grande ville. Un garçon de ma classe m’a mis en garde contre tous ces « mecs un peu bizarres » de la grande ville qui étaient trop cool pour l’école, portaient du noir et écoutaient The Velvet Underground & Nico en boucle. Je me souviens avoir pensé : « C’est reparti, ce disque revient sans cesse« . J’ai donc mis la main sur un exemplaire. Je l’ai peut-être acheté dans Eglington Street à Galway. Quoi qu’il en soit, à la première écoute, j’ai compris pourquoi on en faisait tout un plat. J’ai passé les soirées de ma première année de vie loin de chez moi, assis sur le canapé de mon appartement en sous-sol, à écouter cet album en boucle. Je n’ai jamais croisé le chemin de ces personnages de « mecs un peu bizarres » dont mon camarade de classe m’avait mis en garde. Mais j’ai développé une certaine propension à porter du noir.
Van Morrison – Veedon Fleece
Ses récentes diatribes à propos d’une certaine urgence mondiale m’ont mis franchement mal à l’aise mais je dois dire que l’homme a créé de très beaux albums en son temps. L’un des albums qui se taille la part du lion est Astral Weeks, mais cet étonnant album de 1974 est mon préféré. Il est difficile d’y choisir une chanson plus qu’une autre, bien que Linden Arden Stole The Highlights soit sans aucun doute un des plsu belles. Son falsetto est plaintif et on dirait presque que quelqu’un pleure les mots plutôt que de les chanter. Le refrain s’enroule en spirale avec l’orchestration et ça tourbillonne pendant un moment, puis la chanson s’arrête. Ça me donne des frissons à chaque fois… Une autre magnifique est Come Here My Love qui a été reprise par This Mortal Coil.
This Mortal Coil – It’ll End In Tears
https://www.youtube.com/watch?v=LQV_80VKVLM
Ma référence à Van Morrison par analogie, cela me fait penser à ce disque… J’avais presque oublié cet album. Je le vois comme une success story improbable. Tout a commencé avec cette reprise interprétée par Liz Frazer et Robin Guthrie qui devait à l’origine être une face B sur un 7″. Elle a ensuite été promue en face A et, peu après, s’est retrouvée considérée comme un classique culte. (Pour ceux qui ne le connaissent pas, j’aimerais leur indiquer la direction de l’interprétation stupéfiante de l’original par Tim Buckley dans l’émission télévisée The Monkees). C’est un disque magnifiquement conçu qui, à mon avis, a résisté à l’épreuve du temps. C’est vraiment un projet parfait, qui réunit différents artistes de la famille 4AD de l’époque pour interpréter des chansons et apporter des morceaux originaux. Et il contient non pas une, mais deux chansons du grand Alex Chilton.
Scullion – Scullion
C’est un disque que mon grand frère a ramené à la maison un jour. Je pense qu’il avait vu le groupe jouer à l’heure du déjeuner dans son université. C’est le premier disque que j’ai écouté à plusieurs reprises. Des chansons comme I’m Stretched On Your Grave m’ont vraiment marqué. Et je me souviens avoir chanté cette chanson, The Cat She Went A Hunting, à pleins poumons, debout devant la fenêtre du salon, en regardant la baie de Galway à travers les champs humides. Des années et des années plus tard, j’en ai parlé à Philip King. Et il a souri.