Nous qui nous étions un peu réconciliés avec les séries de « superhéros » avec des projets originaux comme Watchmen ou The Boys, nous voilà en train de déchanter à nouveau devant Jupiter’s Legacy, adaptation cheap et largement ratée du Millarworld.
On imagine très bien que la maison Netflix, peu désireuse de laisser la concurrence régner sur le genre du cinéma de super-héros « pour adultes », a cherché comment répondre à sa manière aux séries The Boys d’Amazon (réflexion un peu hystérique, mais quand même joliment ambitieuse sur les aspects extrémistes – de droite – de la culture US du super-héros) et Watchmen de chez HBO (dénonciation de l’histoire de la persécution des Noirs dans le Sud des USA à travers la question des super-pouvoirs et de leur utilisation policière). Elle a donc misé sur le « Millarworld », univers créé par Marc Millar, ex-collaborateur chez Marvel ayant créé son propre « univers » de super-héros, que Netflix a racheté en 2017, et la série TV Jupiter’s Legacy est la première adaptation Netflix résultant cette acquisition. Le showrunner en est le peu exaltant Steve S. DeKnight, connu (?) pour avoir produit des séries comme Angel, Smallville, Spartacus ou Daredevil : autant gérer nos attentes, avec un type comme lui à la barre, il y avait peu de chances que Jupiter’s Legacy soit une œuvre « d’auteur », ni même qu’il s’avère politiquement audacieux…
Les deux premiers épisodes – sur les 8 que comprend cette première saison – sont, de fait, terriblement accablants : la problématique « adulte » de Jupiter’s Legacy se résume à la difficulté pour un père de transmettre ses valeurs morales (ici la non-violence… non, on plaisante : le fait de na pas procéder à une justice expéditive quand il s’agit d’affronter les « super-villains » !) à ses enfants, qui n’ont pas la même vision de la vie. Entre une fille qui veut avant tout s’envoyer en l’air et un fils qui préfère tuer plutôt que d’être tué, notre super-père-man déprime ! S’ensuit une improbable scène de baston avec un catcheur recouvert de latex (Tyler Mane) et avec une pléthore d’effets spéciaux pourris, qui donne très envie d’arrêter là les frais, parce que, à notre âge, regarder une version états-unisienne des Power Rangers avec en supplément un conflit ados-parents qui semble sorti des années 50, cela ne paraît pas le meilleur usage de notre temps de cerveau disponible.
Heureusement, et de manière finalement assez improbable, Jupiter’s Legacy nous propose, la moitié du temps pendant les 4 épisodes qui suivent, une histoire assez bien troussée retraçant la genèse de notre équipe de bras cassés (pardon de super-héros en pyjamas, comme il se doit) : située pendant le krach de 1929 et la grande dépression qui suivra, cette partie du récit mélange soap opera classique – les conflits entre deux frères qui ne se comprennent pas, la révélation de la forfaiture du papa affreux-capitaliste, l’ami vaguement efféminé qui dissimule sa ruine, etc. – et fantastique ras la moquette – visions spectrales et père à la tronche fracassée venant hanter son fils : même si les incohérences se ramassent à la pelle, il y a là quelque chose du cinéma B d’antan, et un charme indiscutable qui se dégage. Et ce d’autant que les acteurs – et le très moyen Josh Duhamel en premier lieu, sans doute soulagé de ne pas avoir à porter ses postiches et son masque de vieillissement ridicule – semblent pour la première fois mettre de la conviction dans leurs personnages. Le tout jusqu’à une découverte d’île mystérieuse ravivant des souvenirs absurdement mêlés de King Kong et de Lost, qui laisse présager une fin excitante…
https://youtu.be/TY3IAqm-gpE
Comme en parallèle, la partie contemporaine de la série se concentre sur deux personnages bien absurdes, le modèle cocaïné Chloe (Elena Kampouris, mystérieusement sexy en dépit de tout) et le cambrioleur cool Hutch, qui ressemble à un jeune José Garcia tout juste sorti du 9-3 – ce qui lui confirme un charme certain -, le temps passe plutôt agréablement jusqu’aux deux derniers épisodes… Qui voient toute la série s’effondrer piteusement, entre une attribution des pouvoirs surnaturels à nos z-héros digne des Monthy Python, et des retournements finaux de situation sans queue ni tête, et gaspiller piteusement tout le crédit accumulé jusque-là.
A la fin, on reste comme sonnés par l’inanité de ce qui nous a été proposé : des effets spéciaux très cheap, des costumes de mauvais goût, des problématiques familiales antédiluviennes, une histoire qui ne tient pas debout, et une réflexion « politique » qui se résume à la constatation que les Ricains préfèrent voir les bad guys dessoudés plutôt qu’en taule : au pays de la peine de mort omniprésente, on ne peut pas dire qu’il s’agisse là d’une grande révélation.
Eric Debarnot