Petit roman noir publié du fait de la triste actualité de son sujet, Quarantaine de Peter May ne marquera pas l’histoire de la littérature, mais risque bien de marquer ses lecteurs grâce à son contexte plausible autant que son pessimisme radical.
En 2005, Peter May, écrivain écossais de ces polars populaires qui représentent aujourd’hui une part de plus en plus importante des dernières ventes de livres dans le monde, a une idée : et si la grippe aviaire mutait et qu’une nouvelle souche, mortelle dans 80% des cas, contaminait les êtres humains, en commençant par une capitale internationale comme Londres ? Un peu de recherche pour ne pas raconter trop d’absurdités, et la machine May se met en marche. Il imagine une enquête sur des os retrouvés dans un chantier d’hôpital en construction menée par un policier écossais laminé par la vie et qui vient de donner sa démission, dans un Londres littéralement « post-apo » en plein Lockdown (le titre original du livre, plus pertinent que le titre français de Quarantaine, vu la situation pandémique et sociale décrite ici…). La société dans la ville confinée s’est effondrée en quelques semaines, et la barbarie règne, créant un climat d’urgence autour d’une énigme qui va s’avérer – sans surprise – beaucoup plus profonde qu’on l’imagine au départ.
Mais en 2005, Peter May n’a pas encore rencontré le succès international qui sera le sien avec sa Série chinoise et sa Trilogie écossaise, et le manuscrit reste coincé dans sa dropbox : il a des choses plus importantes en tête que cette histoire de SF improbable, d’ailleurs traversées d’invraisemblances et d’incohérences qui traduisent l’inexpérience du semi-débutant.
En 2021, il est facile d’imaginer combien il a été facile de publier enfin Quarantaine, en lui affublant les épithètes de « prémonitoire » et… « réaliste », et nous voici donc avec, entre les mains, un « page turner » à l’anglo-saxonne ni pire ni meilleur qu’un autre, que l’on dévorera avec une certaine fascination : de notre point de vue de « confinés », 16 ans plus tard, il est facile de réaliser combien nous sommes passés près du gouffre (sommes-nous d’ailleurs tirés d’affaire ?), combien ce chaos imaginé ici est possible, voire même probable si l’on pense à l’apparition de nouveaux variants du CoVid19 ou de virus encore inconnus. Et puis, il faut admettre que May a un vrai talent pour créer des personnages complexes, paradoxaux et que l’on suit donc avec plaisir : MacNeil est certes l’exemple classique dans le roman noir de l’homme brisé qui continue à se battre sans véritable raison, mais la jeune scientifique chinoise handicapée ou le tueur implacable mais pourtant curieusement touchant fonctionnent tous deux parfaitement bien au sein d’une énigme qui abuse malheureusement un peu trop d’un sensationnalisme gore bien de notre époque : on aura du mal à avaler le coup du grand brûlé continuant à agir à peu près « normalement », mais on appréciera une conclusion d’une noirceur revigorante.
Sans prendre de pincettes, Peter May nous offre finalement, au-delà des défauts d’un livre qui n’aurait peut-être pas été publié sans l’actualité de son sujet, une perspective terriblement pessimiste sur notre absence de futur.
Eric Debarnot