Le breton Colin Chloé signe un troisième album qui combine des envies d’acoustique et d’électrique autour de chansons nées du granit et revenant à un état liquide. Nait de cette écoute une évidence, celle d’être tout à côté d’un grand disque.
Ami lecteur, si tu acceptes de perdre un peu de ton temps précieux à la lecture de mes élucubrations, assurément, tu commences à connaître mes petites marottes, mes possibles obsessions, ces petits tics d’écriture qui en disent long sur une perception des choses. Une critique qu’elle soit musicale ou autre en dit tout autant sur l’objet critiqué que sur le critique lui-même. Comme je l’ai déjà dit mille fois, la musique est avant tout un paysage né d’un esprit, un paysage imaginaire ou une terre que l’on peut aisément pointer sur une carte. Il serait trop facile de tirer le point cardinal de l’ouest pour le lorientais Colin Chloé exilé et adopté par la ville de Brest.
On retrouve bien sûr dans la musique de Colin Chloé quelque chose que l’on entend aussi dans celle d’Adrian Crowley, une capacité à saisir la ligne d’horizon dans ce qu’elle a de plus couchée, dans cette ligne qui jamais n’est brisée par l’obstacle. On ne peut retrouver cette sensation d’espace que chez ceux qui habitent les espaces qu’ils traversent, chez ceux qui ont compris qu’il y a une mémoire du paysage, que même la pierre peut être poreuse aux souvenirs. Qui croise le regard et la voix de Colin Chloé y voit et y entend la langue d’un Guillevic et la force éternelle de la pierre.
Où L’Eau Te Mène, son troisième album, se pose là comme une synthèse de ses deux envies de compositeur, celle d’une électricité qui ne dépareillerait pas chez Passion Fodder ou Sixteen Horsepower (Rappelez-vous que le brestois a collaboré avec Pascal Humbert sur Au Ciel, son second disque de 2014) sauf que chez Colin Chloé, il y a une soif de mots et d’écriture. Rien de surprenant donc à le voir adapter Eugène Guillevic le temps de Paysage.
Je m’aménage un lieu
Avec ce paysage
Assez lointain pour être
Et n’être que le poids
Qui vient m’atteindre ici.J’émerge de ce poids,
Je m’aménage un lieu
Avec ce paysage
Qui tournait au chaos.Dans ce qu’il deviendra
Je suis pour quelque chose.Peut-être j’y jouerai
Des bois, des champs, de l’ombre,
Du soleil qui s’en va.J’y régnerai
Jusqu’à la nuit.Eugène Guillevic – Paysage
Justement, ce morceau à lui-seul résume toute l’appréhension de la composition du Colin Chloé 2021. Il incorpore une grande base d’expérimentation et de brumes au sein de ses structures, en particulier au niveau rythmique avec l’apport essentiel de Pierre Marolleau à la batterie croisé déjà chez Fordamage, Fat Supper ou encore My Name Is Nobody. A l’écoute de cette nouvelle approche, on assiste à une mue, celle d’un auteur qui continue d’échapper aux étiquettes. On croit parfois entendre le Mendelson de l’album noir qui entretiendrait un dialogue avec le Neil Young de On The Beach (1974).
Colin Chloé chante la mort, la perte d’un être aimé, le deuil impossible à négocier. Il chante la terre après nous, l’empreinte de nous qui s’estompe inexorablement. Qui n’y fera pas attention y entendra une musicalité minimale alors qu’au contraire, les chansons de Colin Chloé multiplient les détails et les chausse-trappes, ces petits grésillements comme des craquements, un disque à la genèse douloureuse assurément ou l’on sent que le breton a cherché sa voie, ses orientations. On sent ici quelque chose qui relève de l’électronique, là du Blues mais tout cela volontairement frustré et contenu. Les paresseux continueront de tirer un lien avec Alain Bashung alors qu’il y a peut-être plus du Manset chez Colin Chloé pour cette même humeur vagabonde.
Quand il évoque Ouessant, Colin Chloé est bien au-delà de la couleur locale, de l’ethnocentrisme qui met mal à l’aise, la carte postale réductrice et maladroite. Non, ce que raconte Colin Chloé c’est la rugosité des êtres, le granit qui entoure les individus, la parole taiseuse, le corps qui se refuse. En bon orpailleur qui se respecte, Colin Chloé n’hésite pas à creuser la terre, à triturer entre ses doigts lourds le limon. A force de patience, de travail, de volonté, de doute parfois, de ce doute palpable qui font les créateurs en perpétuelle évolution, Colin Chloé creuse un filon, comme un mineur, il sculpte la pierre noire, comme un Germinal, il raconte l’obscurité.
Colin Chloé fait partie de cette famille de musiciens pareils à des ouvriers besogneux, à des artisans qui travaillent encore et encore la matière et la manière, une famille faite d’individualités tellement différentes qui font la richesse d’une scène. De Xavier Plumas en passant par Bruno Green, Pascal Humbert ou Jean-Louis Bergère mais aussi Colin Chloé.
A force de se chercher, Colin Chloé a fini par se trouver, à force de chercher des racines, il a su créer un paysage qui ne ressemble qu’à lui, à cet homme qui se cache derrière l’alias, à cet homme qui se cache de moins en moins bien derrière son nom de scène.
A force de chercher, il a fini par se trouver et nous à ses côtés.
Greg Bod