Il n’est certes pas prudent de prétendre se mesurer à Hitchcock sur son propre terrain, mais la Femme à la Fenêtre traduit avant tout la déréliction d’un système hollywoodien qui n’arrive plus à réaliser le genre de cinéma populaire dans lequel il excellait autrefois.
Et d’un coup, au sortir de cette Femme à la Fenêtre, une pensée horrible nous saisit : et si, avec cette pause forcée due à la pandémie, on avait oublié comment faire un film, un vrai, un bon, pas un « divertissement netflixien » ? Car enfin, une production de la Fox (rachetée depuis par Disney, car rien n’arrête… le « progrès »…), avec un Joe Wright à la réalisation (pas un génie, on vous l’accorde, mais il a quand même réalisé un Reviens-Moi assez superbe en 2007) et un casting de choix : Amy Adams, Gary Oldman et Julianne Moore, excusez du peu ! Tout ça pour nous offrir une sorte de relecture ampoulée et caricaturale du Fenêtre sur Cour d’Hitchcock, d’ailleurs cité explicitement au début du film… ! Mais qu’est-ce qui a pu mal tourner pour donner un tel résultat ?
Bon, il semble d’après ce que l’on a entendu dire que Wright ne soit pas complètement responsable de la médiocrité qui s’étale devant nos yeux ébahis, le Studio ayant retourné des scènes et même changé la BO, mais ça reste quand même assez incroyable de voir foirer ainsi un scénario assez classique (une femme « à sa fenêtre » est témoin d’un meurtre de l’autre côté de la rue, mais personne ne la croit, vu qu’elle est dépressive, alcoolique et droguée aux médicaments…), par ailleurs adaptation d’un livre à la bonne réputation.
Devant la caméra, tout le monde surjoue, ce qui ne nous surprend pas de Gary Oldman, mais est beaucoup plus étonnant de la part de la géniale Julianne Moore (qui reste néanmoins impressionnante !). Autour des acteurs, la lumière est superbement (on plaisante) mordorée, les décors se déplacent pour laisser passer la caméra, en particulier dans cette ahurissante scène finale où Anna, libéré (délivrée…) est dans les escaliers : bref on nous fait bien remarquer le professionnalisme des décorateurs et des éclairagistes. Le script du film, construit pour être certain que même un enfant de 10 ans souffrant de troubles de l’attention comprendrait ce qui se passe, ne nous évite aucun surlignage, joue la carte du flash-back traumatique, et, d’une manière générale n’a aucune idée de ce qui se passe réellement dans la tête d’une femme brisée comme Anna, par ailleurs psychologue pour enfants – et incapable de déchiffrer le comportement du fils de ses voisins – et cinéphile aguerrie – mais n’ayant rien retenu du visionnage des films de Hitchcock.
Mais la Femme à la Fenêtre souffre avant tout de changements de rythmes et de tonalités qui trahissent plus de la maladresse que de la complexité : la première partie semble interminable – tout en échouant à nous décrire vraiment les tourments d’une personne agoraphobe, sujet qui est pourtant central à la fiction -, alors que la seconde paraît précipitée et décousue, et que le film se met surtout à ressembler à l’une de ses séries horrifiques parodiques à la mode aujourd’hui, façon American Horror Story, avec un Danny Elfman qui s’efforce de déréaliser encore plus les scènes que sa musique illustre. Peu engagés par des personnages caricaturaux, nous avons plutôt envie de rire devant la violence qui se déchaîne à l’écran.
Et si la récente multiplication d’échecs artistiques aussi improbables que celui de la Femme à la Fenêtre traduisait surtout le fait que les films de divertissement ont besoin d’être fondamentalement réinventés, qu’il est grand temps de passer à autre chose ? Et que le Cinéma « d’après » reste clairement à imaginer ?
Eric Debarnot