Le poète brestois Yan Kouton revient un an après (presque jour pour jour) son premier album Projet YK/OT. Tracer réunit la même équipe, les mots du breton et les lignes électroniques de l’orléanais Olivier Triboulois (Leader du groupe A L’Abri De La Tempête).
La musique est l’expression d’une incarnation plurielle. Je ne comprendrai jamais ces gens qui entrent tel ou tel musicien dans une case et ne souhaitent ô grand jamais le faire sortir de l’étiquette dans laquelle on l’a enfermée. La musique étant une activité humaine fait appel à la pluralité, à l’essence même de chaque individu. Il n’y a pas une musique digne d’intérêt et d’autres indignes, il n’y a que des êtres humains qui se planquent mal derrière leurs images.
La musique peut bien être naïve, cérébrale, maladroite ou mal honnête, elle reste envers et contre tout l’illustration d’une vision du monde et une vision du monde, le brestois Yan Kouton nous en offre une et ce depuis déjà de nombreuses années. On l’avait d’abord connu romancier mais aussi poète. Il s’est ensuite illustré comme chroniqueur musical avant d’être approché par le tourangeau Gu’s Musics qui lui propose de donner une incarnation à ses musiques ténébreuses. Le duo travaille de concert sur ces deux premiers disques, un troisième est actuellement en gestation. C’est suite à une autre sollicitation que Yan Kouton franchit le pas et assume de s’identifier seul à ses propres mots. Cette sollicitation est celle d’Olivier Triboulois, musicien d’Orleans qui officie lui-même dans le groupe A L’Abri De La Tempête.
C’est ainsi qu’en mai 2020 commence cette histoire. On y découvre la voix sèche et chevrotante de Yan Kouton qui s’il n’est pas un chanteur sait trouver le juste équilibre pour ne pas faire de sa musique une simple poésie déclamée mais bien plus une interprétation forcément ambigüe et insidieuse. Projet YK/OT posait les jalons et les fondations d’un édifice fragile, un peu monolithique qui assumait tout autant ses maladresses et ses imperfections que la sincérité que l’on ressentait, une sincérité à fleur de peau. Avec Tracer, le duo pousse un peu plus loin leur errance vers les terres du Suicide d’Alan Vega, vers le désespoir sec de Pascal Bouaziz, vers l’apathie d’un Jean-Luc Le Ténia, vers la mélancolie sourde d’un Michel Cloup. L’univers de Yan Kouton est pareil à un minuscule embryon desséché qui du fond d’un utérus stérile crache contre les parois un désespoir sans apitoiement.
A mon tour, je ne vieillirai pas. Je ne ferai que me modifier. Il suffisait alors de s’assoir sur une stèle, et d’en retenir le silence.
Yan Kouton – Extrait d’Eidos I
Yan Kouton ne pose aucune affirmation, il ne dit que le mouvement, cette permanence d’une impermanence, une continuation, une métamorphose perpétuelle. Bien sûr, il est aussi un habitant de la cité, on sent combien la crise liée au Covid 19 l’a marqué, il suffit de lire ses mots et le ton de sa prosodie atone. Plus électronique que Projet YK/OT, Tracer prend même des accents Krautrock ou des senteurs opiacées presque psychédéliques. Hésitant en permanence entre des circonvolutions aériennes et un ancrage plus terre à terre, Olivier Triboulois nous égare dans des bruitages à la limite d’un surréalisme, à la limite d’un collage aléatoire comme sur L’Attente où la musique conte une histoire parallèle aux mots de Yan Kouton, une histoire presqu’antagoniste, comme un conflit; comme un combat qui se joue dans l’arrière-cour, comme des plaintes et des cris étouffés que l’on croit entendre, comme une agression qui ne se nomme jamais.
La voix de Yan Kouton s’habite de la sécheresse du Michael Haneke d’Amour, le brestois joue du hasard comme d’autres jouent d’une chronologie ou d’un destin. Toujours au bord de l’effondrement, Yan Kouton ballade sa silhouette que l’on devine un peu bancale, un peu cernée par la peur, par l’angoisse. C’est une musique de l’effort, de l’endurance. Continuer, toujours continuer, être dans une action pour mieux oublier ce que l’on ne peut oublier.
Tracer tente également des pistes expérimentales comme le noisy et minimal Eidos II où Yan Kouton pose des visions hallucinées, on pose au Nerval des derniers jours, au soleil noir d’une mélancolie sans fond. On pense aux errances citadines d’un Zweig dans un Prater de printemps, il y a du Leon Spilliaert dans ces ombres menaçantes, il y a de l’expressionnisme dans ces mots transformés en quartiers de chair. Yan Kouton ne nous épargne jamais, il nous étouffe, il nous aveugle, il ne nous rassure jamais mais nous regarde et nous montre ce que nous ne voulons pas voir mais pourtant, nous regardons, comme Orphée, nous nous retournons, nous trébuchons dans cet inconscient impitoyable.
Yan Kouton raconte nos effondrements souterrains et ce qui se cache et malgré nous, nous y retournons, on ne peut faire autrement. On se voit chuter et vivre en même temps.
Greg Bod
Yan Kouton – Tracer
Label : Autoproduction
Sortie le 07 mai 2021