Confuse et sans direction claire, la nouvelle série de Joss Whedon, The Nevers, a tout d’une déception… jusqu’à un dernier épisode réellement surprenant, qui a l’intelligence de rebattre toutes les cartes. Avec le départ annoncé de Whedon, tout est désormais possible pour la seconde saison.
Pour certaines personnes, Joss Whedon est une star de la série TV, et ce depuis le séminal Buffy contre les Vampires, qui date de la fin du siècle dernier. Et le fait qu’on ait du mal à s’émerveiller devant Angel, Firefly, Dollhouse ou ses plus récentes collaborations avec l’écurie Disney / Marvel n’y change apparemment rien… La sortie de sa nouvelle série The Nevers (qui ne se passe pas dans la Nièvre mais à Londres, évitons tout de suite les malentendus !) a excité une grosse partie de la blogosphère. Enfin, jusqu’à ce qu’on découvre que la star avait finalement quitté la série – rattrapé semble-t-il par les désormais habituelles accusations de comportement inacceptable -, qui se poursuivrait donc a priori sans lui, laissant sa « vision d’artiste » sur le carreau.
Mais The Nevers, c’est quoi, en fait ? Eh bien ça ressemble salement à une version de X-Men steam-punk située dans l’Angleterre victorienne ! À la suite d’une intervention improbable d’extra-terrestres, une certaine partie de la population anglaise a développé des « super-pouvoirs » en une sorte de mutation instantanée, ce qui inquiète beaucoup le pouvoir politique de l’époque. C’est que nos mutants sont surtout des femmes, ou des hommes « non-blancs » (c’est d’ailleurs étonnant combien il y a dans le Londres du XIXè siècle de « non-blancs », mais on est là en plein milieu des nouvelles conventions « woke » bien de notre temps). Comme dans X-Men, il y a les bons mutants (pardon, les bons « Touched ») menés par la teigneuse Amalia True (Laura Donnelly, plutôt convaincante, d’ailleurs dans la manière dont elle cogne les mâles récalcitrants…) qui prônent l’intégration, et les mauvais, conduits par la bien nommée Maladie, parce qu’évidemment dans une série anglaise qui se respecte, les révolutionnaires barbares ne peuvent qu’être français.
Tout cela est bien joli, et pas plus bête qu’autre chose, mais le téléspectateur se trouvera rapidement perdu au milieu d’une multitudes personnages – une bonne vingtaine, au bas mot – qui se partagent l’écran sans qu’il soit vraiment possible de comprendre leurs motivations, et d’une prolifération d’intrigues qui font du sur-place comme si cette première saison n’était en fait qu’une interminable scène d’exposition, sans déboucher sur grand-chose de consistant. Les fans de Whedon peuvent bien entendu louer « l’ampleur de la vision » de leur idole, on se contentera de leur rétorquer que, Whedon ayant abandonné le bateau, ceux qui restent vont devoir ramer sec pour tirer quelque chose de ce grand capharnaüm. Quant au prétendu aspect « féministe » du propos de Whedon, si l’on doit reconnaître que le sujet pouvait sembler l’amorce d’une réflexion sur une possible société féminine, alternative à l’horreur masculine qui conduit la planète à sa perte, il nous faut également déchanter : rien ne traduit franchement ce projet en actes, et la fiction n’en fait pas grand-chose…
… Car pour sauver l’humanité, rien de mieux que le principe d’un bon vieux Deus Ex Machina, que Whedon nous sort de sa manche lors d’un dernier épisode qui, on doit l’admettre, ne manque pas de culot. Nous avons d’ailleurs vérifié plusieurs fois au démarrage de l’épisode s’il n’y avait pas erreur sur la plateforme, et si nous n’avions pas été négligemment aiguillés ailleurs… Nous n’en dirons pas plus pour ne pas gâcher le plaisir de ceux qui n’auraient pas encore été victimes du « méga-twist » inventé par les scénaristes en surchauffe. Un twist qui présente, admettons-le, le gros avantage de rebattre considérablement les cartes de la série.
Et de nous donner presque – presque, hein ? – de suivre la saison 2 de The Nevers qui, sans Whedon, pourrait même gagner en clarté, et donc en plaisir pour le téléspectateur.
Eric Debarnot