S’il est un auteur qui est largement mésestimé ou trop peu connu, c’est bel et bien Fabien Guidollet qui, avec Vérone, Facteurs Chevaux (avec Sammy Decoster) ou cette fois-ci avec sa compagne Delphine Passant au sein de La Reine Garçon, construit une oeuvre magnifique. Dans chacun de ses projets, il propose une invitation à la dérobade avec un je ne sais quoi qui rend ses chansons uniques et singulières.
Il y a toujours comme un sentiment de suspicion, une forme de doute face à ces artistes qui cumulent les projets et les activités annexes. On les imagine dispersés, la passion qui s’évapore bien trop vite, l’impatience à défendre de nouvelles chansons. Pourtant reproche-t-on à un peintre de faire du figuratif puis de l’abstrait ou encore une nature morte et ensuite un portrait tout en sensibilité ? Parfois, la bougeotte a cela de bon qu’elle exprime un excédent d’inspiration mais peut-il y avoir un excédent d’inspiration ? Peut-être se distille simplement dans des textures différentes. Prenez un piano par exemple, un Fa Dièse sera toujours un Fa Dièse mais un Fa Dièse joué par un François Couturier du Tarkovski Quartet sera toute autre chose, une passerelle vers d’autres sphères, vers une certaine harmonie.
S’il est bel et bien un musicien qui connaît cette problématique des multiples annexes, c’est assurément Fabien Guidollet. Face à la frilosité ambiante et au scepticisme de certains, il s’est battu pour défendre ses différents projets. Il n’y avait pas grand monde pour croire en Facteurs Chevaux, le duo qu’il a formé avec Sammy Decoster en 2013, auteurs de deux albums indispensables, La Maison Sous Les Eaux (2016) et Chante-Nuit (2020). Pourtant à force de concerts dans des lieux atypiques comme des églises de montagne, des grottes, les ruines de la Rue Saint-Malo à Brest, ils ont installé leur folk hanté sur la scène française. Je ne sais pas pourquoi alors malgré ce succès critique je ressens comme une forme d’injustice face à l’univers musical de Fabien Guidollet. Nous sommes quelques uns à penser par exemple que La Percée, le troisième et dernier album en date de Verone est un chef-d’oeuvre largement méconnu où déjà Fabien Guidollet et Delphine Passant concoctaient des chansons libertaires, oniriques et étranges portées par la voix maniérée de Fabien Guidollet.Je me rappelle par exemple d’une discussion avec le musicien brestois Arnaud Le Gouëfflec qui témoignait de son admiration pour les travaux et l’oeuvre du parisien. Car il faut à un moment lâcher le mot, avec Fabien Guidollet, il s’agit bien d’une oeuvre avec ses périodes et ses aspérités, ses évolutions et ses obsessions. Ce qui fait communauté dans cette oeuvre, c’est la voix sublime de Fabien Guidollet qui ne connait pas de limites, parfois à la limite de l’androgynie (comme à l’image des photos qui accompagnent le disque), toujours inspirée par une théatralité qui tutoie le désuet.
La Reine Garçon, la nouvelle entité derrière laquelle se cache le couple, propose une nouvelle forme musicale ne reniant rien du passé, en en étant parfois comme un prolongement, l’évolution de la musique de Fabien Guidollet relevant d’un mouvement constant entre accumulation et épure. Accumulation car on sent que le musicien cherche à explorer le territoire de la voix, des arrangements vocaux, de l’A cappella et de l’interprétation comme un acteur jouerait un rôle. Epure car il faut savoir ne conserver que le strict nécessaire, que l’indispensable. La Reine Garçon et ce premier album éponyme sont dans cette dynamique-là, on sent; bien sûr tout le bien qu’a retiré Fabien Guidollet de son expérience avec Sammy Decoster au sein de Facteurs Chevaux. Encore une fois, il privilégie le mariage harmonieux de deux voix, la sienne et celle de sa compagne Delphine Passant.
Où sont les nuages de notre enfance ?
Où sont les nuages, partis sous le vent ?
Sous un manteau d’étoiles, notre manteau d’étoiles
J’ai retrouvé l’enfantLa Reine Garçon – L’Ile
On retrouve dans la musique de La Reine Garçon un peu de cette étrangeté que l’on aime tant dans la musique de Midget, le groupe d’un autre duo, Claire Vailler et Mocke. Comme eux, La Reine Garçon mêle les influences et les genres sans avoir peur de faire se concilier des éléments que l’on ne pensait pas adaptables. Il y a un petit quelque chose de baroque dans l’univers singulier de La Reine Garçon, on jurerait y entendre le guitariste espagnol du 18ème siècle Santiago De Murcia glisser quelques notes de son Grave à l’arrière-plan. On entend la mélancolie latine de Gianmaria Testa, celui de La Terra Delle Colline sur Montgolfières (1995).
La musique de La Reine Garçon est tout l’inverse d’un crépuscule, elle est solaire, de cette mélancolie si spécifique aux rues de Porto, un Fado ni vraiment triste ni totalement béat. On est toujours dans une forme d’entre-deux comme à l’image de cette merveille qu’est Mon Amour A La Mer, tout de suite après cet énigmatique haiku qu’est Tu Es La Fille Que Je Voulais Etre en ouverture (qui connait une prolongation inattendue en morceau caché). La Reine Garçon interroge l’identité, les limites que l’on s’impose et la possibilité de les dépasser, elle parle aussi de la nature comme un échappatoire possible, elle raconte les corps prisonniers d’une simple erreur du destin. Sur Et Si Demain, on croise le spectre d’un Luiz Bonfa. L’élément liquide est au centre de ce disque, pas besoin de grande recherche sémantique pour s’en rendre compte, l’univers marin revient dans quasiment chacune des chansons. Comment faut-il l’interpréter ? Peut-être comme un retour à l’utérus protecteur, au liquide amniotique, à une vie amphibie et souterraine. La langueur étrange qui habite ces chansons rappellera sans doute la métronome tranquille des vagues.
Il faut insister ici, La Reine Garçon est belle et bien une nouvelle entité, soit une nouvelle proposition pour Fabien Guidollet, là où son chant pouvait parfois s’approcher de celui des Everly Brothers au sein des Facteurs Chevaux, parfois celui d’une réminiscence médiévale avec Verone. Avec La Reine Garçon, Fabien Guidollet invente un vocabulaire inédit et une chair nouvelle pour habiter ses chansons, quelque chose qui relève de la parole que l’on susurre dans le creux d’une oreille attentive. Une parole chuchotée est toujours une parole essentielle, de celles qui changent une vie. Car oui, une chanson peut nous changer, elle continue à vivre en nous, elle nous hante et nous transforme. Pour notre bien, parfois pour nos tourments. Les chansons de La Reine Garçon sont comme une maison au milieu de la mer avec un grand lit qui nous attend. Le duo est ici accompagné par Alexis Paul à la guitare dont on adore le travail avec Belle Arché Lou. On entend parfois ce qui manque désormais aux disques de Tony Dekker et Great Lake Swimmers, une complicité et une empathie.
J’écope l’eau de la mer
Espérant l’assécher
Je compte les grains de sable
Avant chaque marée
Moi l’idiot du village
On me fait ramasser
Les bouteilles dans le lac
Aux messages délavésLa Reine Garçon – J’Ecope
La musique de La Reine Garçon est solaire, de ce soleil qui aveugle et qui fait glisser l’ombre au bord du néant. Prenez par exemple La Fille Du Vent et les seules voix lumineuse de Delphine Passant et Fabien Guidollet à l’unisson dans une prière, une complainte intranquille au souffle du vent, une magicienne ou une pythie qui parvient à saisir le message que nous chante un parfum d’origan. Les chansons de La Reine Garçon ont quelque chose qui relèvent du tactile, elles expriment ce sentiment de toucher, ce goût des choses retrouvé. Dans l’écriture, Fabien Guidollet hésite toujours entre un tu qui s’adresse à l’autre comme à lui-même mais aussi un nous qui illustre le collectif et la multitude. Il raconte les Sisyphe que nous sommes, des hésitants endurants.
Ecoutez les merveilles subtiles que contiennent J’Ecope Ou L’Ile, la contemplation implacable de soi dans Accepte-toi. Il faut bien le dire quand on la rencontre, la beauté pure, elle peut tout d’abord nous intimider comme une femme magnifique qui nous semble inabordable et inaccessible. La musique de La Reine Garçon est une créature magnifique à la beauté singulière, de ces étrangetés que l’on aborde rarement. Ce premier disque est de ces disques qui resteront longtemps en nous dans un dialogue muet avec nous.
Il faudra assurément accepter une bonne fois pour toute qu’avec Fabien Guidollet, nous tenons un immense auteur qui, loin d’un possible caprice d’être dispersé continue de construire une oeuvre parfois fantasque, parfois limpide mais toujours superbe et ce disque de La Reine Garçon est sans aucun doute un chef-d’oeuvre.
Greg Bod