On peut faire du neuf avec du vieux, et de façon très pertinente. La Boîte à Bulles le prouve avec cette réédition d’un ouvrage notable de Hugues Barthe, une initiative justifiée dans un contexte de crispation « identitaire ».
Il n’est jamais facile quand on a quatorze ans de se découvrir une attirance pour les personnes de son sexe. Hugues Barthe raconte ce passage complexe vers l’âge adulte via le personnage de Hugo, en s’inspirant de sa propre expérience. Grâce à la rencontre inopinée avec Augustin, débarquant de 2021 par la magie d’une faille temporelle, les deux ados vont échanger leurs états d’âme de jeunes gays en phase de construction…
Cette réédition de la Boîte à Bulles n’est pas juste une réédition. C’est une version revue et corrigée, une version « augmentée » comme on l’entend souvent dire aujourd’hui, avec quelques pages venant épaissir l’album. C’est une excellente idée, car si la thématique du « coming out » reste d’actualité en 2021, certains éléments contextuels ont changé et paraîtraient désuets à un jeune qui découvrirait l’ouvrage paru en 2007. Le nouveau titre et la nouvelle couverture, bien plus belle, sont assez révélateurs. Le titre original, Dans la peau d’un jeune homo, devient la « baseline » d’un Hugo est gay plus affirmatif. Sur la première couverture, Hugo est en proie au doute, avec en arrière-plan une mère en larmes. Dans la nouvelle version, le même Hugo se tient plus droit, a l’air plus serein, assis dans sa chambre en train de feuilleter Têtu tandis que sa mère hésite à le déranger… les temps ont quelque peu changé…
Pour remettre cet ouvrage au goût du jour, Hugues Barthe ne s’est pas contenté d’ajouter quelques pages, il a en outre modifié certaines des cases existantes et inséré de toutes nouvelles planches, ce qui renforce grandement l’intérêt du livre. Quelques visages ont été retouchés et certains looks ou tenues vestimentaires qui auraient pu paraître désuets ont été actualisés, parfois très légèrement, d’autres fois plus radicalement. Par exemple, le père de Hugo, qui dans la première édition a l’air d’un prof binoclard un brin rigide, est devenu ici un hipster à la barbe bien taillée et à la boule à zéro, en mode « cool attitude ». Ou encore la « mamie », qui s’est vue rajeunir d’une bonne dizaine d’années… C’est un fait social, en quinze ans, les vieux sont devenus des seniors, ils sont désormais connectés et entretiennent leur corps…
Mais ce qui est encore plus étonnant, c’est l’irruption d’Augustin dans le récit à plusieurs reprises, ado gay tout droit venu de 2021 avec sa coupe de footballeur, ce qui donne lieu à des échanges jubilatoires avec Hugo et permet de mesurer le chemin parcouru en l’espace de quinze ans, tout en constatant l’évolution des mœurs, il faut bien le dire, spectaculaire. Alors qu’Augustin sait à peine ce qu’est un CD, Hugo ignore lui ce que signifie « LGBT » (pardon, désormais il paraît qu’on doit dire « LGBTQIA+ »). Ce dernier découvre avec fascination la « petite boîte lumineuse » qu’Augustin semble consulter en permanence en oubliant le monde autour de lui. En revanche, les deux garçons connaissent tous les deux la madone des intégristes dépités, j’ai nommé Christine Boutin, connue pour s’être opposée au PACS dans les années 90 puis au mariage gay vingt ans plus tard, auquel Hugo n’osait pas croire en 2006…
Pour le reste, on prend toujours autant de plaisir à relire la trame d’origine. La ligne claire minimaliste et avenante d’Hugues Barthe accompagne nombre d’anecdotes par lesquelles celui-ci se joue avec humour de certains préjugés, auxquels est ou a été confronté tout homosexuel à l’adolescence. Aucune trace de méchanceté, de vulgarité ou de cynisme ici. L’auteur franc-comtois sait aussi pratiquer l’autodérision, ce qui en soi est sans doute la façon la plus efficace de lutter contre les clichés voire la discrimination. Si Hugo est le double d’Hugues, ce dernier s’est sans nul doute inspiré de ses proches et d’expériences vécues pour produire un récit traité sur un ton léger. Même si chaque homo sera ravi d’y retrouver une part de lui-même, ce livre, que l’on ne peut pas taxer de communautarisme, s’adresse également à tout le monde, en particulier ceux qui ont envie de comprendre en se mettant le temps d’une lecture « dans la peau d’un jeune homo »…
Mais si la Boîte à Bulles a pris l’initiative de rééditer cette excellente BD, une des plus représentatives dans l’Hexagone d’une communauté LGBT refusant les étiquettes, ce n’est pas totalement un hasard. L’explication se trouve peut-être vers la fin de l’ouvrage, où l’auteur a placé un insert nous rappelant que même si les choses ont globalement évolué en faveur des minorités sexuelles, l’intolérance d’une poignée de réactionnaires homophobes se fait plus virulente aussi, et parfois de manière violente, tels ces « cassages de pédés » en plein cœur de Paris il y a quelques mois, ou encore ces mesures ouvertement discriminatoires voire meurtrières dans certains pays : en Pologne (les LGBT-free zone), en Egypte (la prison) ou pire encore, en Tchétchénie (les assassinats). Hugo est gay reste donc plus que jamais un ouvrage indispensable, au moins pour tout jeune homo en quête de coming out, ayant la malchance de naître dans des endroits ou des contextes imperméables à l’évolution des mœurs, et malheureusement cela reste un constat, même dans la France de 2021, où « p**é » et « enc**é » font partie des insultes les plus courantes, banalisées au point qu’elles ne veulent plus dire grand chose…
Ce qu’on apprécie chez Hugues Barthe, c’est qu’il ne cherche pas pour autant à donner de leçons sur un mode pédagogique pesant. Bien au contraire, cet humaniste empathique s’efforce juste modestement de faire appel à l’intelligence de chacun, et pour cela, quoi de mieux que l’humour, lequel irrigue avec justesse ces chroniques à haute valeur sociologique.
Laurent Proudhon