Après le très sombre Dark Eyed Messenger, l’irlandais Adrian Crowley rabat encore les cartes de ses envies musicales. Cette fois-ci épaulé par John Parish et l’ensemble de musique contemporaine Crash Ensemble, il signe avec The Watchful Eye Of The Stars un disque remarquable. On a voulu comprendre comment se construit un tel album mais aussi ce que pouvaient cacher ses manières de chanter, le spoken word et le chanter plus classique. Adrian Crowley s’est avéré à l’égal de sa musique, charmant et attentif, généreux et énigmatique.
Benzine Magazine : Adrian Crowley, vous sortez votre neuvième album, The Watchful Eye Of The Stars. Vous avez acquis une véritable reconnaissance artistique en Irlande, votre pays natal mais vous êtes plus discret dans d’autres pays. Comment expliquez-vous cela ?
Adrian Crowley : L’Irlande n’est pas à proprement parler mon pays natal car je ne suis pas né ici mais à Malte, je ne suis pas complètement d’accord avec votre description car je trouve que depuis environ dix ans, j’ai attiré un nouveau public dans d’autres pays, je crois d’ailleurs que j’ai une bien plus grosse audience dans d’autres pays qu’en Irlande. Je ne joue qu’assez rarement ici en fait, je fais peut-être deux dates en Irlande et ensuite trois à quatre semaines de tournée dans les autres pays mais c’est vrai que j’ai un public dispersé un peu partout. C’est vrai aussi que je ne suis pas un artiste super connu mais à vrai dire je ne réfléchis pas trop là-dessus.
Y a-t-il quelque chose d’éminemment irlandais dans votre musique ?
Adrian Crowley : Au strict point de vue musical, je ne pense pas mais peut-être plus dans la façon de raconter des histoires. Les irlandais sont très connus pour leur patrimoine de légendes et de contes qu’ils savent si bien raconter. Je crois bien que depuis mes débuts en tant que songwriter, ma musique n’a jamais été influencée par le patrimoine folklorique irlandais.
C’est quoi cet œil vigilant des étoiles que vous évoquez dans le titre de votre album ?
Adrian Crowley : L’idée de ce titre m’est venu à la toute fin de la conception de ce disque. On l’avait mixé, on l’avait masterisé mais je n’avais toujours pas de titre pour l’album et je n’avais pas non plus la pochette. Il n’avait donc pas d’identité ni de visage (Rires) mais il avait une identité évidente dans mon esprit et dans mon cœur. J’essayais donc de trouver le titre le plus juste et le plus pertinent. J’avais enregistré une démo du morceau dont est extrait ce titre, The Watchful Eye Of The Stars, j’avais d’ailleurs noté machinalement ce titre pour résumer la chanson, j’ai rangé ce papier sur mon bureau et j’ai fini par l’oublier. Je l’ai retrouvé un peu par hasard en faisant du rangement et quand j’ai déplié le papier et que je suis tombé sur ces mots je me suis dit que je tenais mon titre. C’est mon subconscient qui m’a glissé l’idée je pense (Rires). C’est bien sûr extrait d’Underwater song une chanson dans le disque où j’évoque cette idée plutôt mystérieuse du passé qui s’illustre dans le présent presque malgré nous comme les vestiges d’un village englouti avec des traces perdues d’une vie passée. Je mets aussi un peu de cela dans ce titre, n’y voyez rien de logique ou de purement réfléchi, c’est quelque chose qui sort du rêve et de l’inconscient. (Rires)
Pour ce disque, vous avez fait appel à John Parish croisé bien sûr aux côtés de PJ Harvey, Dominique A ou encore Aldous Harding. Par le passé, vous aviez fait appel à Thomas Bartlett, Steve Albini ou encore Stephen Shannon. Qu’attendez-vous d’un producteur et quelle serait ce qui fait la quintessence de l’approche du travail de John Parish ?
Adrian Crowley : Tous les artistes que vous venez de citer sont tous très différents et j’ai adoré travailler avec chacun d’entre eux. Déjà pour commencer, je crois bien que Steve Albini ne se considère pas à proprement parler comme un producteur. C’est plus aisé de dire qu’il en est un mais pour respecter son intégrité artistique je continue de décrire son approche du travail comme celle d’un ingénieur du son et d’un grand mixeur. Mais en même temps, contrairement à John Parish ou Thomas Bartlett, il est très influent, j’ai failli dire « intrusif » dans le son final.
Stephen Shannon, un de mes plus vieux amis, avec lui, on co-produit. Il a une vision d’ingénieur du son et de mixeur mais il est aussi un producteur. J’aime tellement que les producteurs soient également des sources de grandes propositions et me poussent un peu plus loin en dehors de ma zone de confort. J’attends d’un producteur qu’il comprenne où je souhaite mener ma musique mais aussi qu’il puisse avoir une vision globale de ce qu’il peut apporter de plus à la musique. J’aime qu’un producteur puisse percevoir les idées qu’il faut garder, celles qui sont incomplètes et qu’il faudra peut-être retravailler.
J’aime beaucoup ces producteurs qui osent dire « Bien, posons tout sur la table et voyons ce que nous avons. Organisons les pièces comme un puzzle à reconstituer. » J’aime ces producteurs qui instaurent un dialogue en me poussant toujours plus loin. J’aime qu’ils apportent leur sensibilité et ne soient pas trop frontaux. J’ai d’abord besoin de me sentir à l’aise dans une relation humaine. Finalement, je me rends compte que je ne travaille qu’avec des amis ou des gens qui finissent par le devenir. Pour me permettre d’accepter la présence d’un autre dans l’intimité de mes chansons, je dois me sentir bien en sa présence. Je fonctionne beaucoup à l’instinct, j’ai envie d’être dans le partage et je crois qu’un producteur doit l’être également.
John Parish est très lucide, il peut travailler très vite. John est un multi-instrumentiste, il est très modeste quand il parle de lui mais en studio, il est une source de propositions absolument géniales genre « Je crois que cette partie a besoin de batterie » et vous le voyez partir jouer une partie de batterie tellement pertinente pour le morceau. Il ramène des parties à mixer chez lui et il revient le lundi suivant en me disant « Tiens, écoute, j’ai joué de la basse sur cette partie-là. » Il est toujours en train d’essayer différentes pistes de sons. Parfois il a su me dire quand une chanson était finie et n’avait besoin de rien de plus.
J’ai apporté mes enregistrements faits maison que j’ai enregistré dans la pièce depuis laquelle je parle avec vous. Il m’a dit après avoir écoutées certaines chansons qu’il ne fallait plus y toucher et de les laisser comme elles étaient ou dans d’autres cas, il me disait que l’on allait devoir retravailler certaines chansons. Il a ce don à savoir ce qui sera le mieux pour chacune des chansons. Et puis John a ce son si singulier et peu importe l’instrument qu’il a entre les mains. Je crois bien que l’on peut reconnaître les travaux de John rien qu’à son son.
Quand vous arrivez en studio, savez-vous dès le départ où vous voulez mener votre album ou les choses se construisent-elles au fur et à mesure ?
Adrian Crowley : Oui, j’ai une vision assez précise de comment je perçois le disque en entrant en studio. Je dirai que c’est principalement dicté par mon chant. Dans mes démos dont je parlais à l’instant, il y avait déjà l’atmosphère ou le climat que je souhaitais donner à mes chansons. Je crois que sur ce disque, les démos ont été essentielles pour la cohérence de l’ensemble. Ces chansons m’accompagnaient déjà dans ma vie de tous les jours, les parties de chants aussi. Je ne voulais pas entrer en studio avec John Parish avec une page complètement blanche.
J’avais déjà pas mal avancé sur un travail sur la forme globale et on a continué d’étoffer la chose ensuite avec John. On a décidé de travailler avec John dans un processus très ouvert qui laissait de la place à la chance et la surprise. J’avais une idée de ce que je voulais jusqu’à un certain degré mais on avait accepté d’avoir une large part d’incertitude, ce qui était très excitant.
Faisons un retour quelques années en arrière si vous voulez bien Adrian. Vous êtes né à la fin des années 60 sur l’île de Malte, au centre de la Méditerranée à distance de l’Europe et de l’Afrique. Dans quel contexte avez-vous grandi ?
Adrian Crowley : Ma famille a déménagé vers l’Irlande aux alentours de mes deux ans, on avait vécu sur le continent africain avant cela. J’ai grandi à la campagne sur la côte ouest de l’Irlande non loin de la baie de Galway. C’était un endroit et une période géniale où grandir. L’océan occupe un large espace dans mon enfance, les rives, les collines qui entourent la baie, les champs et la nature. Je passais mon temps par monts et par champs, le seul problème c’est qu’il y pleuvait beaucoup. Je passais tous mes étés au bord de la mer à explorer les petits mondes que planquaient les rochers.
Dans un entretien, vous expliquiez pour évoquer vos jeunes années : J’étais donc trop jeune quand je suis partie pour avoir des souvenirs visuels- mais j’ai découvert que j’avais des souvenirs par mon odorat. C’est vraiment bizarre. C’est comme cette théorie, est-ce que c’est Marcel Proust ? A la recherche du temps perdu. Il dit qu’un flot de souvenirs lui est remonté à la mémoire en goûtant une madeleine qu’il avait goûté pour la dernière fois quand il était enfant. Quelle est l’odeur de votre enfance et apparaît-elle de manière subliminale dans votre musique et/ou vos textes ?
Adrian Crowley : Je suis très réceptif aux arômes et aux odeurs, ils me transportent ailleurs. Certaines odeurs (elles sont peu nombreuses) me renvoient à ma prime enfance, des fulgurances mémorielles et pas vraiment des souvenirs qui me visitent encore de temps en temps. Quand cela arrive, c’est très étrange car je ne sais pas d’où vient ce souvenir d’odeur, j’essaie de la distinguer mais elle a déjà disparu. Quand ces odeurs reviennent elles me ramènent vers l’Adrian Crowley d’un ou deux ans. Cela reste un mystère pour moi et j’ai interrogé ma mère à ce sujet. Je me rappelle par exemple de l’odeur d’une plante en Afrique.
Je sens encore aussi dans ma chair l’odeur d’humidité des champs autour de ma maison, cette odeur si caractéristique que l’on sent à la fin de l’été ou au début de l’automne ou encore cette odeur d’algues qui pourrissent au soleil le long de la côte. J’habitais avec mes parents un coin un peu éloigné de la ville où il y avait peu d’habitations. Je sentais souvent l’odeur de l’océan à marée basse depuis ma chambre à coucher et puis il y avait aussi l’odeur moins sympathique de mon grand frère qui avait à l’époque des petits soucis d’hygiène (Rires). Je ne sais pas trop si l’on retrouve ces odeurs dans mes chansons car je les perçois plus dans une approche visuelle. Les odeurs me ramènent à de souvenirs visuels alors peut-être il y a par-là une forme de connexion à faire entre les odeurs et mes chansons finalement. Par contre je ne peux pas dire quelle est l’odeur de mes chansons (Rires).
Dans un autre entretien, vous disiez : J’avais l’habitude de marcher des kilomètres pour rentrer chez moi dans l’obscurité, le long de la route côtière qui n’avait pas de lampadaires. Le nombre d’heures collectives que j’ai passées, adolescent, à rentrer à pied chez moi est presque difficile à croire maintenant. Les choses vous viennent à l’esprit, j’aime à penser que ces interminables marches solitaires pour rentrer à la maison m’ont conduit à plus d’un endroit. Je crois que je comprends mieux pourquoi je ressens comme une forme d’errance dans chacun de vos disques. Et si ces marches solitaires avaient construit le compositeur que vous êtes aujourd’hui ?
Adrian Crowley : Je pense vraiment sincèrement que tous ces moments que j’ai passés seul ont contribué à nourrir et créer mon imaginaire musical. J’évoque ce type de paysages sonores dans mon esprit et je les chante donc ainsi comme je le faisais déjà à l’époque de ces marches en solitaire. A l’époque je chantais ces premiers essais de composition juste pour moi lors de ces marches, personne ne m’avait encore entendu chanter, personne n’avait entendu aucune des notes que j’avais pu composer.
Je chantais ces compositions en marchant mais je savais qu’à peine je franchirai le pas de la porte de notre maison, elles s’évaporeraient. Quelque part, elles ne disparaissaient pas totalement, elles partaient juste ailleurs et ce que je fais depuis mon premier disque c’est juste de les faire remonter à la surface. C’est sans doute un peu romantique mais j’aime à penser que tous ces temps passés seul enfant ou adolescent à penser à la musique et avoir des flashs de ce que pourrait être une vie de créateur, j’ai l’impression que cette période-là était un peu une prémonition de ce que j’allais devenir alors que même dans le plus beau de mes rêves, je n’y croyais pas. Cela me semblait absolument inaccessible comme rêve.
Parlons de vos textes si vous voulez bien, ce qui est remarquable en les lisant ou en vous écoutant les chanter c’est leur caractère paradoxal. Ils sont à la fois très détaillés, très précis et en même temps souvent oniriques, chargés d’un désespoir à l’origine flou. Je pourrais citer sur le nouvel album le titre Northbound Stoaway qui ressemble à un journal de bord ou sur Some Blue Morning cette merveille qu’est The Wild Boar qui raconte la rencontre fortuite entre un conducteur dans la nuit et un sanglier. Comment travaillez-vous vos textes ? En parallèle de la musique ou bien avant ?
Adrian Crowley : Je n’ai pas une méthode unique pour travailler mes textes. Comme vous pouvez le voir, je suis dans une pièce qui est recouvert de petits morceaux de papier, il y en a partout. Des notes, des esquisses de textes. J’écris énormément mais je tends aussi à oublier où j’ai mis tel ou tel texte. Cela me force à retourner et à fouiller parmi tous ces bouts de papier, c’est un peu fou comme comportement (Rires).
C’est un peu pareil avec la musique, il n’est pas rare que je travaille simultanément sur une bonne vingtaine de partitions différentes que je laisse inachevées et sur lesquelles je reviens souvent de manière sporadique mais elles ont déjà toutes leurs structures mélodiques car la mélodie est toujours ce qui me vient en premier. J’ai donc toutes ces partitions en parallèle de ces textes et je me plais à penser qu’ils se trouvent les uns les autres presque sans moi.
Parfois j’ai des bouts de textes mais sans idée de musique pour les accompagner, je sais que ces textes ne sont donc pas aboutis et qu’il va me falloir encore les travailler pour qu’ils finissent par trouver leurs mélodies. J’ai vraiment plusieurs méthodes de travail.
Prenons l’exemple de The Colours Of The Night sur The Watchful Eye Of The Stars, cette chanson est venue très vite un matin où j’avais mon café à la main, je me suis installé devant mon micro, allumais ma guitare et j’ai appuyé sur le bouton d’enregistrement, quand j’ai commencé je n’avais aucune idée de ce qui allait sortir, je l’ai sorti en une fois. J’ai enregistré cette chanson la toute première fois ou je l’ai chantée. Je me suis demandé d’où cela venait et ce que c’était. C’est mystérieux le processus de création, je suis heureux quand cela s’opère ainsi mais je suis surtout heureux qu’il puisse y avoir plusieurs chemins différents pour y parvenir.
Vous parlez justement de manières différentes d’appréhender l’écriture, je trouve qu’il y a aussi chez vous deux manières différentes d’appréhender le chant.Vous avez le chant « classique » et le spoken word. J’ai l’impression que vous vous saisissez du Spoken Word pour amener vos textes vers plus de profondeur dans le détail.
Adrian Crowley : Oui, je crois que vous avez raison de faire cette différenciation, je crois que dans ces chansons plus longues, je décris les choses sous un axe absolument différent, je cherche à créer une mise en scène bien plus que ne me le permettent des chansons plus courtes. Peut-être sont-elles aussi plus visuelles. C’est peut-être une « technique » différente ou une forme différente qui requiert une technique différente. C’est quelque chose que j’ai du mal à expliquer car cela me vient comme ça, je ne cherche jamais à donner vie à des personnages, ils viennent instinctivement.
J’essaie de faire du mieux que je peux, j’essaie de capturer une émotion. Cela m’intéresse d’analyser ensuite comment une de mes chansons vient au monde mais durant le processus de création, cela sort comme ça sans calcul. A ce moment précis de ma vie, je suis absolument passionné par ces différents formats de chansons que je compose, ces espèces d’histoires que je propose parfois car je crois qu’en explorant cette voie, je peux les faire sortir de la forme d’art dans laquelle je suis. Cela vient vraiment naturellement et je ne pourrai vous expliquer pourquoi apparaissent des chansons plus proches d’une histoire comme celles-là. C’est peut-être une sorte de dialogue intérieur.
On ne sent pas forcément chez vous une volonté à utiliser la langue comme un outil rythmique mais bien plus comme un organe de sens. Etes-vous d’accord ?
Adrian Crowley : Quand j’écris des textes, je ne les pense pas d’un point de vue métrique en ayant un œil collé au métronome, ils ne doivent pas nécessairement coller au rythme ou avoir cinq ou six syllabes. Je préfère penser que s’il y a du rythme dans ma musique ce rythme est dicté par l’histoire racontée et les mots, je ne veux pas voir les mots comme des outils qui doivent coller à la rythmique de la chanson, il y a bien sûr quelques exceptions dans mon répertoire, en particulier pour les chansons les plus simples ou les plus Pop. Mais pour ce qui est des chansons aux textes plus longs et plus aboutis, tout le rythme de ces chansons vient vraiment seulement des mots eux-mêmes. Ce sont des motifs très spécifiques.
Les chansons que vous interprétez dans un chant plus spoken word me donnent l’impression de l’apprentissage d’un auteur, d’un écrivain en devenir. Avez-vous des envies d’écriture sur un format plus long ? J’ai entendu parler de votre projet The Dead Hotel en particulier.
Adrian Crowley : J’ai vraiment envie d’écrire un roman, j’ai d’ailleurs déjà commencé le travail, j’ai écrit pas mal et j’ai un peu reconstruit l’ensemble durant la période des fêtes de la fin 2020. Pendant quelques semaines, j’ai arrêté toutes mes autres activités, je n’ai pas touché le moindre instrument de musique par exemple pour ne me concentrer que sur l’écriture de cette histoire. Ce n’est pas encore fini, je ne peux pas encore dire que c’est un livre mais c’est comme une sorte d’activité parallèle à mon songwriting. J’espère enfin atteindre mon but et avoir un roman fini entre les mains. C’est crucial pour moi de répondre à cette urgence que je ressens à vouloir écrire un roman. Je perçois déjà une sorte de musicalité dans cette ébauche de roman mais c’est une autre forme artistique, c’est une forme au long-cours.
J’aimerai suivre l’exemple de musiciens comme Dominique A, Arthur H qui réussissent à continuer d’écrire de grandes chansons tout en ayant une œuvre littéraire en parallèle. The Dead Hotel, c’est un peu différent, c’est plus une performance que nous n’avons proposé que rarement sur scène autour d’un de mes longs textes. On a prévu de l’enregistrer cette année pour le sortir en disque. C’est un poème que j’ai adapté en musique, cela dure une quinzaine de minutes, cela reste une chanson mais une chanson qui ressemblerait à une série de pages comme extraites d’un roman.
L’écriture de vos textes me fait penser à l’écriture blanche d’un Albert Camus ou d’un Raymond Carver. C’est une écriture très détaillée qui se refuse à trop de lyrisme tout en restant très ouverte à la poésie. Des choses très quotidiennes qui prennent une tournure très différente.
Adrian Crowley : J’aime beaucoup cette idée du quotidien dont émerge une forme de magie tout cela porté par un langage très simple. Je tiens à préciser que j’adore les travaux de Raymond Carver, je n’ai lu que peu de choses de Camus mais Raymond Carver est un de mes auteurs de chevet, j’y reviens sans cesse. J’ai relu récemment un livre que sa dernière femme a publié un livre posthume d’essais et de nouvelles jamais publiées à ce jour, c’est un véritable trésor.
Je trouve son langage d’une simplicité magique qui introduit de la poésie dans le quotidien, Carver utilise ses obsessions comme des motifs répétitifs, il a une écriture très cinématique et ce n’est absolument pas surprenant que nombre de ses livres ait été adaptés au cinéma. Il a cette capacité à décrire à travers de minuscules détails la vérité de la vie moderne. Il peut partir du détail le plus trivial pour créer une dramaturgie, je pense en particulier à cette nouvelle d’un gars qui se réveille un matin avec un chat dans la gorge et de ce que Carver parvient à en tirer, c’est tellement poétique. Je ne crois pas que l’on puisse trouver plus simple et plus basé dans le quotidien que Raymond Carver. Je suis forcément ravi que l’on puisse entendre du Raymond Carver dans mes textes.
Parfois votre travail d’écriture m’évoque celui de Michel Cloup, bien sûr nous sommes dans des contextes très différents, Michel Cloup a une approche plus politique que vous dans son écriture mais je trouve que dans cette écriture à la fois très précise, très quotidienne et très dilatée, il y a des proximités.
Adrian Crowley : Déjà pour commencer (il tend un livre vers l’écran et il s’agit du roman A La Ligne de Joseph Pontus récemment adapté par Michel Cloup Duo et Pascal Bouaziz). Je ne sais pas si vous le savez mais nous sommes de très vieux amis avec Michel. Je considère Michel comme un auteur absolument incroyable mais aussi comme un humain incroyable, un musicien absolument fabuleux. Il a des textes incroyables.
Michel m’a fait découvrir beaucoup de nouvelles musiques quand j’habitais Toulouse il y maintenant longtemps, on passait beaucoup de temps ensemble chez lui avec sa compagne et sa collection impressionnante de disques. C’était très excitant de le côtoyer mais aussi de le voir sur scène. J’ai même eu la chance de partager la scène avec Diabologum lors de l’un de leurs concerts à Toulouse, on a dû faire quelques concerts aussi avec son projet solo Peter Parker Experience. A l’époque, je parlais très mal le français, je suis passé à côté de nombre de ses textes mais en maîtrisant de mieux en mieux la langue, je me suis rendu compte de la richesse de son écriture multi-facette, aussi bien politique qu’abordant l’intime. Tout ce qu’il écrit vient du plus profond de lui. Il a bien compris que l’artiste doit accepter de se laisser déborder par la tristesse pour en tirer une beauté inédite.