Le Dernier Voyage de Romain Quirot n’est pas pour tous les goûts, mais, à la fois joliment rêveur et formellement splendide, il constitue une vraie proposition de Cinéma. Ce n’est pas rien.
Alors voilà, le Dernier Voyage est un film qui pose des questions, et qui en pose beaucoup plus que ce à quoi il est capable de répondre. Donc il plaira aux gens qui aiment les questions, pas à ceux qui aiment les réponses. Que ceux qui aiment le rationnel et les scénarios bien carrés passent leur chemin. Que ceux qui pourraient apprécier de passer une courte heure et demie dans une sorte de voyage – dernier ou pas, là n’est pas la question – qui ressemble surtout à un rêve d’enfant n’ayant pas su grandir, un rêve qui aurait pu être transformé en film grâce à quelques généreux mécènes, entrent sans crainte.
Le Dernier Voyage parle de la fin du monde, un sujet un peu trop à la mode en ce moment, et du besoin suicidaire d’énergie d’une humanité qui préfère se voiler la face devant la finitude de toute chose (des sources d’énergie, de l’humanité elle-même). Des sujets importants, cruciaux même, et qui néanmoins, même s’ils reflètent une fidélité à la vocation prophétique de la « vraie SF », ont surtout ici une allure de McGuffin. Car cet astronaute irremplaçable qui fuit – dans le désert – sa mission, alors qu’il pourrait sauver l’humanité, on comprend vite que ce qu’il doit régler, ce sont avant tous ces vieux traumatismes familiaux qui nous sont si familiers : une mère disparue à qui l’on ne peut plus donner d’amour ; un père qui construit l’avenir et qui exige une confiance absolue de nous, alors qu’il n’a jamais rien fait pour la mériter, et alors que cette confiance est éternellement à sens unique ; et surtout un frère-jumeau obscur – et jaloux – qui a sombré dans un réalisme nihiliste à force de ne pas savoir rêver… Débrouille-toi avec ça, Monsieur l’Astronaute ! Débrouille-toi avec tes rêves d’enfant, avec la foudre qui t’a frappé, et avec le fait que toutes ces « visions » que tu as dans la tête ne sont que des souvenirs flous de séances de cinéma.
Le grand paradoxe du film de Romain Quirot, c’est qu’il n’existe que parce que son auteur, comme nous, a été nourri de cinéma US, ou au moins anglosaxon, comme si le futur ne pouvait que ressembler à du Mad Max ou du Star Wars, alors que son « message » est profondément « ancien monde », européen si l’on veut : on utilise des armes à feu pour s’entretuer tout au long de cette histoire, pour conclure que la meilleure manière de se défendre, c’est de ne pas attaquer. Mais on peut aussi dire que c’est ce paradoxe-là, aussi inconfortable soit-il, qui fait l’intéressante singularité du Dernier Voyage. Comme le fait de planter une Tour Eiffel abattue au milieu de nulle part, d’imaginer une Peugeot 504 comme voiture du futur, et d’embaucher Bruno Lochet ou Philippe Katerine comme acteurs de second rôle. Finalement, ce que fait Quirot ici, c’e n’est rien d’autre que corriger les plans aberrants d’un Luc Besson : rendre Jean Reno faillible et humain, reprendre l’adolescente de Léon et la peindre comme elle est vraiment : une douce victime.
https://youtu.be/vJ0K4IYpH-A
Oui, ce que fait Romain Quirot avec son Dernier Voyage, en dépit de son scénario qui hérissera les plus rationnels d’entre nous, de quelques approximations fantaisistes dans sa dramaturgie, d’effets spéciaux qui varient du vraiment impressionnant au totalement approximatif, c’est du vrai Cinéma, avec un grand C ! C’est-à-dire traduire une vision personnelle, voire intime, dans un œuvre susceptible de nous parler à la fois du monde et de nous.
PS : Nous n’avons pas dit que le Dernier Voyage est formellement splendide, et contient même quelques images inoubliables. Voilà, c’est fait.
Eric Debarnot