Ne pas se laisser abuser par un titre, Seeking New Gods, et une pochette, un volcan asiatique, qui laissent présager un projet spirituel élevé : le dernier Gruff Rhys est (aussi) un bijou pop, à la fois entraînant et touchant.
Allez, imaginons quelqu’un qui n’aurais jamais écouté Gruff Rhys (ou même Super Furry Animals…) et à qui l’on ferait écouter Seeking New Gods… Il y a fort à parier qu’il aurait tout d’abord pas mal de difficulté avec la voix… même si le chant lui rappelait un peu Elliott Smith, avec ce mélange inhabituel d’insécurité et de pudeur, de jovialité et de réflexion existentielle. Et puis, peu à peu, chanson après chanson, le fait que certaines mélodies s’inscrivent clairement dans une veine Beach Boys chère à tous le rassurera… même s’il sera étonné de réaliser que les tonalités recherchées par Rhys vont parfois, d’une chanson à l’autre, explorer le psychédélisme halluciné des 70’s avant de revenir sonner presque jazzy. Et quand il arrivera à la fin de l’album, beaucoup moins pop, plus planante et réflexive, il y a de grandes chances qu’il soit convaincu ! Eh oui, dès la première écoute !
Car Seeking New Gods, caché derrière son titre qui pourrait faire peur, et son illustration pas forcément très attirante, est l’un des albums les plus accessibles de Gruff Rhys, et peut-être bien l’un des plus immédiatement confortables de ces dernières semaines. Composé dans le désert du Mojave mais terminé à Bristol, c’est un album qui trahit certes une recherche d’élévation, symbolisée par ce fameux Mont Paeku, un volcan situé entre la Chine et la Corée du Nord, qui a constitué le point de départ du disque. Mais cette recherche est ici effectuée avec une humilité paradoxale, qui la rend particulièrement touchante : les premiers mots que l’on entend sur l’album sont « As the mausoleum of my former self / My songs displayed upon the shelves. / Remember this one? / It caused me grief… (Comme le mausolée de mon ancien moi / Mes chansons sont exposées sur les étagères / Vous vous souvenez de celle-ci ? / Elle m’a causé du chagrin…), il est difficile de faire plus simple, plus trivial presque dans l’introspection et le manque de prétention ! Et ce d’autant que la chanson suivante, Can’t Carry On, avec sa mélodie accrocheuse fait littéralement décoller le disque à la verticale.
Oui, la recette magique de Seeking New Gods, c’est d’aligner des airs souvent joyeux pour animer des chansons qui seraient sinon facilement déchirantes ; de donner à entendre des synthés enfantins et des trompettes décalées pour dédramatiser des ambiances complexes ; de capter notre attention avec de drôles de paroles, facilement terre-à-terre, sur des morceaux qui regardent pourtant vers le ciel. Ainsi, la cavalcade presque légère de Loan your Loneliness est basée sur des allitérations futées, sans pour autant chercher à faire le malin : « Loan me your unholy lowly loneliness / You’re only in a mess! » (Prête-moi ta solitude impie et humble / Tu es juste dans le pétrin !)… soit une jolie manière de parler de la solitude.
Bon, il faut reconnaître que Seeking New Gods n’est pas très « Rock’n’Roll » : Hiking In Lightning est même le seul morceau où les guitares grondent un tant soit peu, justement parce que la chanson parle d’exaltation et de peur : « Hiking in lightning / Is exhilarating / And frightening » (Faire une randonnée alors que la foudre tombe / c’est exaltant / et effrayant).
Mais le morceau le plus magnifique de l’album est peut-être Everlasting Joy qui convoque aussi bien des sensations très physiques que de purs concepts pour essayer de décrire une sorte d’essence non pas éternelle, mais au moins permanente : « Hissing currents / Hyper Structures / Plastic idols / Kissing couples / Cloud formations / Cold gate keepers / Neon shadows / Everlasting Joy. (Des courants qui chuchotent / des structures colossales / des idoles en plastique / des couples qui s’embrassent / des formations de nuages / de froids gardiens de portes / des ombres sur les néons / Une joie éternelle.). Ceci avant Distant Snowy Peaks, un final flottant aux sonorités vaguement asiatiques, qui se clôt comme un mantra, et renvoie à la pochette de l’album…
Oui, Seeking New Gods est un album « accessible », qui a des chances de plaire à tous dès la première écoute. Mais un album dont l’évidence dissimule une vraie richesse, à l’inverse de bien des musiques qui dissimulent leur vide derrière complexité et prétention. Un disque qui prouve que l’on peut parfaitement proposer une réflexion ambitieuse sur l’existence tout en divertissant un auditeur peu habitué à ce genre de sujet dans un disque « pop ».
Une splendeur, en fait.
Eric Debarnot