Adaptation très jolie et très touchante du livre de Robert Badinter, Idiss est une lecture nécessaire – et émotionnellement forte – en ces temps de haine, où le travail de mémoire de tous est plus essentiel que jamais.
En 2018, Robert Badinter, issu d’une famille juive ayant fui la Bessarabie (l’ancien nom de la Moldavie), et accessoirement homme politique respecté – il n’y en a pas tant que ça ! – publie Idiss, un hommage, ou plutôt une déclaration d’amour à sa grand-mère qui a fui les pogroms de l’Empire Russe avec sa famille, pour se réfugier en France. Un livre très touchant, qui n’a pas été conçu comme une dénonciation des ravages de l’antisémitisme tout au long du XXème siècle, mais plutôt comme la « simple » chronique d’une famille résiliente, mais finalement dévastée par la haine.
En 2021, alors qu’un gouvernement israélien extrémiste souffle sur les braises toujours rougeoyantes du foyer palestinien, on ne peut s’empêcher de frémir devant une nouvelle vague d’antisémitisme qui semble se déverser sur les réseaux sociaux. L’histoire ayant tendance à se répéter quand le travail de mémoire est négligé, il est plus que temps de lire Idriss, de se souvenir de l’horreur qui s’est abattue, encore et encore, sur des gens ordinaires, qui ne demandaient qu’à vivre tranquilles, en Bessarabie à la fin du XIXème siècle comme dans la France pétainiste de 1942. Et pour ceux qui préfèrent « les petits mickeys », Richard Malka – spécialiste du droit de la presse et accessoirement avocat de Charlie Hebdo– et Fred Bernard – dessinateur bourguignon ayant beaucoup œuvré dans les ouvrages pour la jeunesse – nous offrent une interprétation dessinée du livre de Badinter.
Nous avons fait référence aux CV des auteurs parce qu’il nous semble que leur Idiss se trouve au parfait confluent de ces deux influences : d’un côté, le dessin pour la jeunesse avec des couleurs vives et gaies (même pour illustrer les moments le plus sombres…), des visages ronds et aimables, comme une sorte de célébration de l’allégresse de la vie « malgré tout » ; de l’autre, un témoignage à charge contre toutes les idéologies de la haine qui prônent d’abord le rejet, puis le pur et simple massacre de « l’autre ». Et c’est cet étonnant décalage entre la forme – dépeignant la joyeuse simplicité de la vie de personnages attachants – et le fond – l’implacabilité de la menace qui pesa toujours sur la vie de la famille Badinter – qui fait le prix de cet Idiss, d’ailleurs loué par Robert Badinter lui-même.
Ce qui dur, très dur même, dans Idiss, c’est que l’histoire de la grand-mère adorée se referme au cœur des ténèbres, alors que les Armées du Reich contrôlent l’Europe et que la couardise ignoble de l’extrême-droite française livre des enfants à la mort. Pas vraiment un happy end.
Mais le happy end, on le trouvera peut-être dans l’Histoire, la vraie. Dans le fait que Robert Badinter a été l’un des principaux artisans de l’abolition de la peine de mort en France. Qu’il ait donc choisi le pardon, la foi en l’être humain, plutôt que la loi du Talion, cet œil pour œil, dent pour dent, qui ne débouche, comme on dit, que sur un monde peuplé d’aveugles édentés.
Une leçon pour nous tous, de Gaza à Paris.
Eric Debarnot