La danoise Kira Skov nous fait découvrir un peu ce qui se cache dans la tête des filles dans Spirit Tree. Accompagnée d’un casting qui en ferait pâlir plus d’un, la dame du nord de l’Europe confectionne des chansons agréables, sensibles mais sans grande inventivité.
On a un peu oublié cette scène Anti-folk qui de Michelle Shocked à Moldy Peaches ou encore Herman Dune, Calvin Johnson et Adam Green tentèrent d’allier Punk et Folk avec un peu de réussite et pas mal d’audace. On retient peu de chefs d’oeuvre mais des disques enthousiasmants. Lentement cette scène s’est évaporée comme neige au soleil. C’est le seul Folk que l’on voit se déployer de retour depuis quelques années. Pourtant l’Antifolk n’a jamais vraiment disparu, il a peut-être seulement mûri et grandi, pris quelques poses un peu petit bourgeois. On ne peut rester adolescent toute son existence, il faut bien vieillir. N’est pas Gordon Gano qui veut, qu’on se le dise une bonne fois pour toutes !
La danoise Kira Skov a conservé du punk comme un malaise sensitif que l’on entend dans chacune de ses chansons crépusculaires. Repérée dès 2002 avec Happiness Saves Lives, le premier album de son groupe Kira And The Kindred Spirits, la danoise part vivre aux USA où elle commence en 2011 une carrière solo. Jusqu’ici proposant d’honnêtes albums de Pop, les chansons de la danoise n’ont laissé que peu de souvenirs dans nos esprits. Sur cet album, Spirit Tree, où elle est accompagnée, excusez du peu, par Bonnie ‘Prince’ Billy, Bill Callahan, Mark Lanegan, John Parish, Lenny Kaye, Lionel Limanana, Marie Fisker et Mette Lindberg, elle ne parvient à nous convaincre qu’en quelques instants et aussi étrange que cela puisse paraître, c’est peut-être dans les morceaux où elle s’assume seule. L’univers de la dame peut dans ses meilleurs moments rappeler les chansons hantées de Faun Fable. D’ailleurs We Won’t Go Quietly avec Will Oldham qui fait allusion à Dylan Thomas rappelle par bien des manières les collaborations de l’américain avec Dawn McCarthy. C’est lugubre, habité mais en deçà de que clame Faun Fable.
Spirit Tree semble suivre un cahier des charges d’un disque Americana, tout est déployé et confectionné avec finesse mais sans inventivité. Aucun angle mort dans ces chansons, de longs fils blancs qui nous accompagnent tout au long de titres parfois prévisibles. In The End et ses accents à la Lee Hazlewood, le Dusty Kate en forme de clin d’oeil malicieux à Kate Bush.
On ne rentre réellement dans ce disque qu’à partir de Pick Me Up où Kira Skov révèle réellement toute l’étendue de sa gamme, avec sa mélodie belle à pleurer, son violon triste et sa voix comme échappée d’une toundra, on retrouve un peu de ce que l’on aime dans les disques de Ruth Rosenthal et Xavier Klaine de Winter Family, leur Pop Funèbre qui fait pleurer des statues de glace. Kira Skov atteint ici une singularité qui se prolonge encore sur d’autres titres d’un disque un peu bancal, peut-être trop gourmand ou trop généreux, un album qui aurait sans doute gagné à être plus ramassé. Sur Idea Of Love, le roi Midas qu’est Mark Lanegan apporte tant, il porte presqu’à lui seul tout le morceau, Kira Skov s’effaçant à son profit, restant dans l’ombre.
Ce qui est sûr, c’est que les ballades crépusculaires conviennent mieux à la danoise ou elle peut affirmer un charme magnétique et sulfureux alors qu’elle nous laisse de marbre sur les morceaux plus Pop. Sur Horses, elle déconstruit la ligne mélodique à partir de chants qui se répondent et s’interpellent, les siens et ceux de Jenny Wilson et John Parish. La chanson s’égare dans une énigme entre Bright Eyes et des effluves Roots.
Accompagnée de Marie Fisker sur Tidal Heart, une de ses fidèles collaboratrices, elle illumine le décor d’une luminosité étrange, John Parish au mixage donnant bien des arrière-plans et des contrechamps à cette mélancolie évaporée, le violon de Maria Jagd faisant encore des merveilles à la manière d’un Warren Ellis. Elle retrouve l’auteur de I See A Darkness pour une chanson honnête à défaut d’être originale, une ballade folk convenue, un peu inoffensive, jamais indigne mais qui ne s’incruste pas vraiment dans notre mémoire. Tout cela est bien trop appliqué, il y manque un semblant de folie et de déraison. Par contre sur Love Is A Force, Dieu est présent, pardon, je voulais dire Bill Callahan et sa seule présence suffit à nous faire divaguer. D’une voix haute, il habite les à côtés de cette chanson. Car il faut bien reconnaître que ce qui semble intéresser la danoise sur Spirit Tree, c’est de vouloir travailler sur les voix, de les triturer comme des instruments. Deep Poetry va chercher du côté de Gainsbourg, la force à la présence de Lionel Limanana, c’est charmant et un peu anodin.
Le problème de ce type d’album un peu inégal c’est qu’il faut parfois combattre l’ennui, ne pas se laisser gagner par une torpeur. Fort heureusement, la danoise révèle de beaux coups d’éclat qui ravivent régulièrement notre intérêt. Burn Down The House et sa mélodie presqu’atonale par exemple qui se déleste des fioritures et de certains tics de composition de la dame.
On voudrait donner quelques conseils bienveillants à Kira Skov, quelques mots de sagesse pour permettre à ce talent (que l’on sent tapi là) de s’affirmer enfin. Peut-être resserrer le propos, apprendre à plus s’écouter, ne pas laisser se disperser l’inspiration, laisser de côté le superflu, l’artifice et les fioritures. Il ne lui manque qu’un petit pas, on saura être patients pour voir les racines de cet arbre qui pousse enfin apporter une ombre bienvenue et rassurante.
Greg Bod