Et si avec Years In Marble, son troisième album, le lyonnais Raoul Vignal déjà remarqué sur les superbes deux premiers disques, dépassait la discrétion que semble imposer sa musique pour nous rappeler qu’en matière de folk habité et racé, nous n’avons rien à envier en France à nos voisins des pays du Nord ou de la lointaine Amérique. Avec cette troisième étape, Raoul Vignal tente de nouvelles pistes, celles d’une composition plus orientée vers la Pop, celle de Michael Head période Shack par exemple.
On sent en France comme une forme de complexe d’infériorité quand on aborde le sujet du Folk avec des musiciens français. Dans ce pays où le verbe est roi dans la musique et où les statues des grands commandeurs que sont Ferré, Brel, Trenet, Brassens restent intouchables et inaccessibles, rares sont ceux qui ont tenté de rentrer réellement dans ce que les américains appellent storytelling et qui n’a absolument rien à voir avec le rôle d’un auteur-compositeur. Pour être entendu, il faut dire, pour être perceptible, il faut avoir quelque chose à transmettre, à défendre, j’ai failli dire à vendre.
Si l’on y regarde de plus prés, quitte à faire grincer quelques dents, Alain Bashung, Dominique A ou encore Pascal Bouaziz, bien que leurs racines musicales soient à chercher du côté de l’Amérique ou de l’Angleterre, s’inscrivent à leur manière dans une continuité de ces grands commandeurs sauf, car il y a toujours un sauf, sauf, donc que le « Je » a été délaissé pour un « nous », que la poésie a été oublié pour une relecture du quotidien. Mendelson, qu’on le veuille ou non, et sans que cela n’enlève rien à la qualité d’écriture et de composition de leur leader, s’inscrit dans cette école de l’auteur-compositeur. Il y a bien sûr ici et là quelques inventions d’un nouveau vocabulaire, un lexique inédit, je pense à Philipe Crab ou Jean-Daniel Botta du label Le Saule.
Peu s’essaient à cet art délicat du storytelling mais qu’est-ce que le Storytelling ? me direz vous. C’est cet art consumé de raconter une histoire sur le format d’une chanson, quelque chose qui relève de la nouvelle, de la concision et du sens inné de l’essentiel. Il faut savoir être économe et généreux à la fois, choisir le mot juste et précis qui contient en lui-même un monde, une émotion, une perception. Le problème c’est que notre langue française, ample et brumeuse se prête mal à cet exercice de l’histoire racontée avec peu de moyens. Si le storytelling existe en France, il existe dans les univers de ces musiciens qui décident de défendre une vision dans la langue d’un Bob Dylan, d’un Simon And Garfunkel. On a vite rangé le lyonnais Raoul Vignal dans la catégorie des guitaristes aux mélodies guitaristiques un peu évanescentes qu’on a encore plus hâtivement rapprochées de celles des norvégiens de Kings Of Convenience. Evacuons tout de suite cette référence que l’on assène à chaque coup quand on évoque le lyonnais. Avouons-le, nous, petits critiques de disques, journalistes du dimanche soir, nous avons quelque fois des gimmicks et des images toutes faites que nous nous empressons de coller à tel ou tel artiste. Alors bien sûr la voix haute de Raoul Vignal n’est pas sans rappeler celle d’Erlend Øye, bien sûr ses compositions suivent des chemins parallèles mais ils ne sont que parallèles et pas semblables.
Là où les Kings Of Convenience chantent les tourments amoureux, une envie de douceur de vivre, Raoul Vignal cherche à créer un monde dans ses miniatures, il est finalement plus proche du Midlake période Tim Smith qui jamais ne choisit entre évanescence, engourdissement des sens et un horizon limpide. Comme le regretté Nick Talbot de Gravenhurst, il nappe son folk d’un psychédélisme épuré. Entrer dans Years In Marble, c’est un peu comme commencer un film du britannique Shane Meadows, on y croise des gens aux origines modestes et aux vies semblables aux nôtres, des laborieux, des corps rompus par des boulots harassants qui à la fin d’une journée d’efforts recherche un instant de répit et de réconfort.
Autant The Silver Veil (2016) et Oak Leaf (2018) pouvaient tisser des liens de parenté avec la discographie de Gareth Dickson pour ce même usage du Fingerpicking dans leur composition, autant Raoul Vignal prend la tangente avec le britannique pour emmener son folk vers quelque chose qui doit autant à la Pop, la Flower Pop comme le Surf Rock que l’on sent parfois de manière subliminale. Bien sûr, on ne parlera pas ici de posture anti-folk mais il faut admettre que la musique du lyonnais est bien plus subtile qu’elle n’y paraît au premier abord. On imagine sans trop le savoir que Raoul Vignal a chez lui un petit autel où chaque soir, il rend un hommage aux talents de Johnny Marr, à la magie d’une Vashti Bunyan et que de ce melting pot, de ce patchwork, il construit une musique qui ne définit rien d’autre que lui.
The walls are dripping
From nightmares had
Centuries before I
Called it my placeMy fortress
Breached by rays of silvered relief
Welcome to the room
Said oneRaoul Vignal – Moonlit Visit
Qu’est-ce que le storytelling façon Raoul Vignal ? Peut-être des histoires qui racontent des lieux, une ville de bord de côte, les profondeurs d’un lac, une rivière qui n’en finit pas de couler. Pour cet apaisement paradoxalement hanté, il n’y a guère qu’un autre grand storyteller auquel on pourra l’accoler, à savoir François-Régis Croisier de Pain Noir dont on annonce enfin un nouvel album. Comme chez le clermontois, la paix est toujours brumeuse et ambivalente chez Raoul Vignal. On devine ici et là quelques bruits, l’état de conscience est légèrement modifié, c’est à peine perceptible. Nous sommes dans ce moment paradoxal entre endormissement, rêve et cauchemar ou éveil. Les choses les plus terribles nous semblent inoffensives, les plus futiles les plus menaçantes.
Les mots de Raoul Vignal ne sont jamais anodins, ils cachent une noirceur derrière un voile de pudeur. Il raconte les rues vides, les brises de joie qui ne sont jamais de grands souffles. Sur Century Man, il raconte l’agonie et cette morphine qui fait tomber les rideaux quand Coastal Town décrit des corps nus, des mouettes hurlant au dessus des toits et la marée qui ne lave rien. Ce que Raoul Vignal a bien compris et met en application au sein de ce disque en trompe l’œil, c’est cette capacité à chanter la profondeur et l’essentiel de nos vies à partir de peu de choses, de ce rien qui ressemble à un haiku. Certes les hâtifs y entendront seulement un geste d’apaisement dans un premier temps mais très vite, eux-aussi seront saisis par ces chansons qui planquent mal la complainte masquée car la véritable élégance est rare. L’élégance véritable n’est que l’apanage de ceux qui ont toujours hésité entre le silence et l’expression par la chanson.
Parce que sa musique est à mi-chemin entre deux mouvements contraires, une tentation du silence et une nécessité de catharsis, Raoul Vignal signe des chansons d’une sincérité absolue qui jamais ne cherchent à s’imposer à nous mais qui par leur empathie s’infiltrent en nous.
Greg Bod