On n’attendait pas forcément grand-chose de la dernière mini-série HBO, Mare of Easttown, et on est d’autant plus ravi d’y trouver nombre de très beaux moments de vrai grand Cinéma. Un œuvre qui a des chances de figurer très haut dans notre palmarès de 2021.
Créé et intégralement écrit par Brad Ingelsby, qu’on n’avait guère remarqué jusqu’à présent que pour le scénario des Brasiers de la Colère de Scott Cooper, et avec ses sept épisodes tous réalisés par le quasi inconnu Craig Zobel, à peine remarqué l’année dernière pour son hargneux The Hunt, Mare of Easttown n’avait a priori que le nom de Kate Winslet en tête de son casting pour susciter beaucoup d’intérêt au milieu des dizaines de séries et mini-séries qui se déversent chaque mois sur nos écrans. Et on n’aurait pas parié notre chemise, en dépit de la caution HBO – qui n’est d’ailleurs plus non plus ce qu’elle était à la grande époque (ah, nostalgie d’un âge d’or clairement dernièrement nous…) – sur l’intérêt d’un thriller de plus se situant dans les Etats-Unis white trash…
7 épisodes plus tard, on se retrouve pourtant totalement bouleversés par ce que l’on vient de voir, et qui se situe bien au-dessus, même si ça fait mal de se l’avouer, des films « de cinéma » programmés à la réouverture de nos salles chéries : car Mare (diminutif de Marianne, le film ne parlant pas d’une jument…) of Easttown est l’une des œuvres cinématographiques (oui, on insiste…) les plus « springsteeniennes » vues depuis belle lurette, une peinture à la fois digne et poignante de la vie quotidienne des « vrais » Américains, ceux qu’Hollywood ne nous montre à la limite que comme des bêtes curieuses, et avec lesquels on aura vécu en totale empathie durant sept magnifiques heures.
Pour la partie thriller, Ingelsby ne s’est pas trop mal débrouillé : il a su entremêler deux intrigues principales et les enrichir par une multitude de mini-fictions, familiales pour la plupart, sans que jamais le téléspectateur ne s’y perde. Il a réussi à ménager suffisamment de cliffhangers naturels pour que l’on se sente pris par la mini-série et qu’on ne perde pas de vue la fameuse « valeur de divertissement » si précieuse de nos jours. Il sait parsemer son histoire de scènes fortes, comme celle de la disparition – sans aucun pathos – d’un personnage-clé particulièrement attachant. Il nous a même réservé une dernière surprise dans l’épisode final – l’un des plus superbes – comme le font les maîtres du polar, sans que l’on ressente l’effort scénaristique ou l’excès de manipulation typique du genre. Bref, Mare of Easttown remplit son contrat sans problème, même si l’on sent clairement que le projet de Ingelsby + Zobel + Winslet n’est pas vraiment là.
Car Mare of Easttown nous parle bel et bien de ces gens ordinaires, pas forcément si différent de nous, si ce n’est par la présence permanente des armes (un élément fondamental du drame qui se joue ici) et par, inversement, la force communautaire d’une société qui survit face à la dureté de la vie avant tout grâce à la fidélité de ses membres les uns envers les autres. Mare (Kate Winslet, impeccable comme toujours, dans un rôle difficile de femme dure et brisée à la fois) est flic, mais elle considère que sa mission est avant tout d’aider tous les membres de sa communauté… avant de s’aider elle-même, qui en a pourtant autant besoin : ancienne gloire locale du basket, elle est aimée et respectée par tous, ou presque, et va avoir l’occasion de prouver à nouveau combien elle est un indispensable membre de cette société souffrante.
Car, bien entendu, et c’est là un ressort classique de fiction, ce que son enquête va lui faire découvrir, c’est que, derrière le lien social et la bonhommie générale, se dissimulent les vices humains les plus ordinaires : maris et femmes infidèles, enfants qui sombrent dans la drogue puis dans la prostitution, pédophilie (n’oublions pas que le scandale des prêtres catholiques pédophiles, largement étouffé chez nous, a été colossal aux USA…), et tant d’autres trahisons intimes.
Certains ont pu trouver qu’Ingelsby accumulait trop de vices et trop de souffrances sur la tête de ses (nombreux) personnages : c’est lui faire un bien pauvre procès alors que, au contraire, et c’est là que son propos rappelle clairement les chansons du Boss, il ne cesse de nous rappeler que, si l’Homme est faible, il est aussi capable de noblesse et de générosité. Derrière les maux trop connus d’une société de plus en plus démunie et paupérisée, l’être humain résiste. Sans jamais sombrer dans le mélodrame, malgré son lot de cœurs brisés, d’enfants perdus, de mauvais parents, d’amours impossibles, Mare of Easttown nous saisit, nous touche au plus profond de nous-mêmes. Comme du grand cinéma ; ou plutôt comme le Cinéma devrait toujours le faire.
Eric Debarnot